Entrevue avec Howard Stupp, ancien athlète et juriste olympien

Howard Stupp, ancien athlète Olympique de lutte et Conseiller juridique spécial au Comité International Olympique

Me Stupp a chaleureusement accepté de discuter de son profil hautement atypique combinant les carrières sportive et juridique avec AHQ. 

 

  1. Précédemment à vos études en droit, vous êtes non seulement un athlète de lutte à succès, mais encore un diplômé de McGill en génie (1978). Parlez-nous un peu de votre jeunesse.

Déjà lorsque j’étais gamin, j’avais une passion indomptable pour les sports. À la petite école, où les sports ne manquent pas et les saisons sportives sont courtes, ma passion pour les sports ne connaissait aucune limite et je pouvais pratiquer librement le hockey, le baseball, le football américain, le basketball, la lutte et l’athlétisme pour en nommer quelques-uns. Mon entrée à l’école secondaire marqua cependant le début d’une période de choix et de spécialisation. Adolescent, j’obtins de très bons résultats dans la discipline de la lutte et ça me donna envie de continuer. Il faut dire aussi que pendant l’école secondaire, j’étais un élève qui semait la zizanie (mais je suis devenu plus « sérieux » à l’université, bien entendu).

La lutte me fit voyager énormément au Canada et dans le monde pour compétitionner. J’ai participé aux jeux panaméricains, à des championnats du monde et aux Jeux olympiques. Les deux championnats panaméricains de 1975 (Mexique) et 1979 (Puerto Rico) auxquels j’ai remporté la première place figurent parmi mes exploits sportifs dont je suis le plus fier.

De 1974 à 1978, j’étudiai parallèlement en génie électrique à l’Université McGill. Je voulais bien gagner ma vie. Par contre, le sport demeurait pour moi une priorité. Grâce à une bourse obtenue dans le cadre de ma carrière de lutteur, j’ai passé ma première année de génie en échange (1974-75) à l’Université Simon Fraser en Colombie Britannique. J’ai également troqué mon trimestre d’hiver 1976 de ma deuxième année de baccalauréat pour m’entraîner en vue des Jeux olympiques de 1976.

En guise d’aparté, durant ma jeunesse, j’ai aussi beaucoup travaillé pour, et avec, mon père. Il avait un côté strict et exigeant, ce qui m’a aidé à développer une discipline. En fait, mon père n’était pas content du fait que je pratiquais autant de sport. Il préférait plutôt que je me consacre à mes études. Éventuellement, il a compris que le sport m’a beaucoup aidé à m’épanouir en tant qu’être humain.

  1. Comment vous êtes-vous tourné vers le droit?

Dès ma deuxième année en génie, je pensais que le droit m’intéressait davantage que le génie. Sur les conseils d’un professeur, j’ai cependant décidé de finir d’abord mon baccalauréat en génie. Cela m’a amené en 1978 où j’ai alors commencé mes études en droit avec le même objectif de conserver la lutte comme une de mes priorités (ce qui, lors de l’entrevue pour être admis au programme, a causé quelques flammèches avec l’université).

Par contre, en rétrospective, ma carrière sportive tirait vers sa fin, car avec le temps, je suis devenu plus âgé et mon corps, usé, en contraste avec les exigences toujours croissantes de la lutte. Il devenait alors naturel que je me consacre davantage à ma carrière juridique. En même temps, le boycott canadien des Jeux olympiques de 1980 à Moscou auxquels j’étais censé participer au sein de l’équipe canadienne a contribué à ma transition vers une carrière professionnelle.

  1. Peu de temps après votre assermentation en 1984, vous travailliez déjà pour le Comité International Olympique (CIO) pour lequel vous avez récemment accumulé votre 34eannée de service. Qu’est-ce qui explique votre intérêt envers le CIO?

Aussi étrange que cela puisse paraître, mes débuts au CIO et ma carrière qui s’en est ensuite suivie sont le résultat d’un pur hasard. J’étais stagiaire au cabinet Stikeman Elliott et, faute d’être engagé dans le cabinet, j’ai été référé par Dick Pound au CIO qui m’a ensuite engagé comme attaché juridique. Alors que je ne pensais demeurer qu’entre deux et quatre ans au sein du CIO, je me suis vite retrouvé l’unique attaché juridique du Comité, position qui s’est prématurément transformée en Directeur des affaires juridiques. Je n’ai quitté ces fonctions que 33 ans plus tard vers la fin de 2017 pour devenir Conseiller juridique spécial.

  1. Comment décririez-vous votre pratique à Lausanne en Suisse?

Le Directeur des affaires juridiques du CIO a entre autres la tâche de superviser le cadre juridique du CIO dans le Mouvement olympique. Pour ce faire, il collabore beaucoup avec les Comités d’organisation des jeux olympiques, les Comités nationaux olympiques et les Fédérations (sportives) internationales pour la bonne organisation des Jeux olympiques.

La planification de ces derniers requiert que le CIO établisse les règles concernant l’organisation des jeux et conclue des contrats avec la ville-hôte et le Comité national olympique pertinent. En outre, le CIO signe des ententes de commandite et des contrats de radiodiffusion, protège la propriété intellectuelle des anneaux et du mot « olympique » et ébauche les formulaires d’inscription des athlètes qui, entre autres, ont pour fonction de choisir le forum en cas de conflit.

En outre, le Directeur travaille quotidiennement avec les autres départements du CIO, notamment les départements des Jeux olympiques, des sports, des communications et le département médical et scientifique pour assurer une bonne gouvernance juridique du CIO.

Il faut dire que depuis mon arrivée au Comité en 1984, ce dernier a beaucoup évolué et j’ai énormément appris et vécu au sein de l’organisation.

  1. Quels sont les avantages de combiner une carrière d’athlète à celle d’avocat en droit des sports dans votre pratique quotidienne?

Sur le plan personnel, mon passé d’athlète m’a inculqué une autodiscipline ainsi qu’une persévérance à toute épreuve. Par-dessus tout, le but ultime de l’athlète est de se donner à fond dans son sport et de pousser ses limites pour réaliser l’entièreté de son potentiel. En lutte, on ne dépend sur personne d’autre que sur soi-même. Si tu ne t’entraînes pas à fond, tu ne gagneras pas. J’y ai donc acquis une détermination inébranlable dans tout ce que j’entreprends.

Dans ma pratique quotidienne, cela se traduit notamment par mon caractère direct et honnête dans les négociations. Je n’ai aucun besoin de passer par milles chemins si mon objectif est clair et que j’ai travaillé très fort pour l’obtenir.

L’esprit de « fair play » transcendant (en principe) les sports y joue également un grand rôle. En général, j’essaie de regarder mes interlocuteurs comme des êtres humains dans mes transactions légales. Mes solutions juridiques doivent non seulement être correctes juridiquement, mais moralement aussi.

Enfin, le fait d’avoir été un ancien athlète est un avantage indéniable en droit du sport. Je combine un point de vue pragmatique à la perspective juridique sur les différents enjeux touchant directement les athlètes, tels les cas de dopage ou encore la planification du programme olympique et des différents événements donnés. Même pour ce qui est des dossiers ne touchant pas directement les athlètes, les valeurs olympiques que j’ai intégrées dans l’arène de lutte peuvent parfois jouer un grand rôle dans mes relations juridiques.

  1. Quels conseils donneriez-vous à de jeunes avocats désirant travailler dans le domaine du droit des sports et ultimement pour le CIO?

Je recommande vivement à l’initié du droit des sports de commencer sa recherche d’expérience professionnelle au niveau local et d’offrir ses services juridiques dans un club, une équipe ou une ligue mineure de sa communauté. Il existe une immense variété de sports et de clubs sportifs de tous les niveaux. De plus, beaucoup de clubs locaux sont affiliés à des fédérations provinciales, elles-mêmes représentées par des fédérations nationales. Ces dernières sont alors regroupées sous la bannière des très-prisées fédérations internationales.

Bien entendu, le Comité national olympique canadien est une organisation qui travaille en étroite collaboration avec le CIO et qui s’avère donc un lieu professionnel de choix en droit des sports. Certaines organisations sportives internationales, le CIO compris, offrent également des opportunités de stage extrêmement valorisantes. En outre, certaines entités en Europe offrent des cours d’éducation exclusivement en droit des sports.

Cela dit, l’expérience en droit du sport s’acquiert également en dehors de la sphère sportive. Chaque événement local peut s’avérer une opportunité de gagner de l’expérience utile.

  1. Qu’est-ce qui vous manque le plus de Montréal et du Québec en général?

J’ai l’impression de na pas appartenir entièrement à la Suisse comme j’ai l’impression de ne plus appartenir complètement à Montréal, au Québec ou encore au Canada. Ma famille et mes amis me manquent lorsque je vis en Suisse. Une fois à Montréal, je me sens très bien chez moi, mais la Suisse occupe néanmoins mes pensées.

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