La propriété intellectuelle au service des peuples autochtones et des communautés locales

Par Me Brigitte Vézina (Genève, Suisse)

Unir le droit, ma vocation, et les arts, ma passion : voilà ce qui m’a menée très naturellement à choisir le droit d’auteur comme champ de pratique. Et mon petit faible pour l’artisanat et les arts traditionnels du monde entier m’a quant à lui guidée où je travaille aujourd’hui : au sein de la Division des savoirs traditionnels de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).

En voyage ou au coin de votre rue, peut-être avez-vous pu apprécier des chants traditionnels centenaires, des danses rituelles, des sculptures, peintures ou dessins aux motifs reproduits depuis des générations ou toute autre forme d’expression culturelle traditionnelle. Ou encore, vous êtes-vous déjà soigné selon la médecine traditionnelle, en employant des remèdes ou des techniques ancestrales, témoignant d’un savoir traditionnel préservé au cours des siècles ? Ces exemples donnent un très bref aperçu de la richesse et de la diversité des cultures traditionnelles.

De nos jours, les savoirs et expressions culturelles traditionnels revêtent non seulement un caractère culturel inestimable, mais aussi un potentiel commercial pour les peuples autochtones et les communautés locales qui en sont à l’origine. En effet, la commercialisation de produits artisanaux fabriqués selon des méthodes traditionnelles, de recettes ou d’habiletés transmises de génération en génération fait désormais partie intégrante de l’économie de nombreuses communautés autochtones et locales.

Or, nombre d’individus ou d’entreprises n’hésitent pas à se servir parmi la multitude de savoirs et d’expressions culturelles traditionnels — créant par exemple un vêtement imprimé de symboles traditionnels ou un produit pharmaceutique dérivé d’une recette traditionnelle — et d’en tirer profit, parfois aux dépens de ces « porteurs de traditions » que sont les peuples autochtones et communautés locales. Du reste, la plupart des produits issus des savoirs et des expressions culturelles traditionnels et commercialisés à travers le monde sont créés par des tiers sans l’autorisation des communautés, au risque de leur causer un préjudice économique, spirituel ou culturel.

Comment donc s’assurer que l’exploitation, commerciale ou non, des savoirs et expressions culturelles traditionnels se fasse dans le respect des désirs, besoins, droits et intérêts des communautés ? Dès 1997, l’OMPI s’est vue dotée du mandat d’explorer le rôle que pourrait jouer le domaine de la propriété intellectuelle pour répondre à cette question.

En règle générale, les savoirs et expressions culturelles traditionnels ne sont pas totalement éligibles à la protection au titre des normes en vigueur du droit de la propriété intellectuelle. Leur caractère « traditionnel » – indiquant qu’ils ont été transmis de génération en génération – n’est guère compatible avec les exigences d’originalité et de nouveauté qui sont au cœur du système actuel.

En dépit de ses lacunes, le cadre international offre néanmoins quelques formes de protection. À titre d’exemple, la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (1886), le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (1996) et le Traité de Beijing sur les interprétations et exécutions audiovisuelles (2012) assurent la protection des artistes interprètes ou exécutants d’expressions du folklore (synonyme d’expressions culturelles traditionnelles).

Par ailleurs, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007) stipule que les peuples autochtones « ont le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle collective de ce patrimoine culturel, de ce savoir traditionnel et de ces expressions culturelles traditionnelles » (article 31).

Vu les insuffisances du système de propriété intellectuelle tel qu’il existe aujourd’hui, l’OMPI tente de répondre aux besoins et aux aspirations des détenteurs de savoirs et d’expressions culturelles traditionnels en empruntant deux avenues parallèles.

D’une part, au sein du Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore, les États membres de l’OMPI travaillent en vue de conclure un accord international sur la façon de protéger les savoirs et les expressions culturelles traditionnels contre l’appropriation illicite et l’utilisation abusive par des tiers.

D’autre part, en collaboration avec ses partenaires, l’OMPI travaille directement au niveau local afin que les communautés autochtones et locales disposent des outils et du savoir-faire nécessaires pour utiliser au mieux le système de propriété intellectuelle existant.

Par exemple, j’ai moi-même la chance d’œuvrer dans le domaine de la propriété intellectuelle en lien avec les festivals folkloriques et artistiques. Notre division collabore avec les organisateurs de festivals afin de les aider à élaborer des stratégies de propriété intellectuelle judicieuses et adaptées aux problèmes que peuvent poser ces évènements, tels que l’enregistrement non autorisé de concerts traditionnels, la photographie et mise en ligne de danses sacrées, ou la copie de costumes folkloriques, pour ne citer que ceux-ci.

Le recours à tout un éventail d’outils, notamment les droits sur les marques et le droit d’auteur – employés de concert avec des contrats, des protocoles, des mises en garde et des conditions d’accès – peut permettre de se prémunir contre les utilisations abusives de savoirs et d’expressions culturelles traditionnels lors de festivals.

De plus amples informations sur les activités de l’OMPI dans le domaine de la propriété intellectuelle relatives aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et aux expressions culturelles traditionnelles sont disponibles en ligne à l’adresse suivante : https://www.wipo.int/tk/fr/.

Me Vézina est juriste au sein de la Division des savoirs traditionnels de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Le contenu de cet article n’engage que son auteur et ne représente par forcément le point de vue de l’OMPI ou de ses États membres. L’article a été rédigé en ayant recours aux documents publiés par l’OMPI.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *