Le potentiel en développement du mécanisme d’experts sur les industries extractives et l’environnement de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples

Me Valérie Couillard* (Londres, Royaume-Uni)

En droit international, les questions relatives aux industries extractives et à l’environnement constituent un important domaine d’action pour lequel une multitude d’initiatives nationales, régionales et internationales sont déployées. Parmi ces initiatives se trouve le Groupe de Travail sur les Industries extractives, l ‘Environnement et les Violations des Droits de l’Homme en Afrique (1) qui est attaché à un des organes principaux de protection des droits humains sur le continent, soit la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (2). Ce mécanisme d’experts qui tire sa source et sa légitimé du système intergouvernemental de l’Union africaine traite de questions pressantes et cruciales, mais la portée de son robuste travail reste encore trop méconnue et par conséquent restreinte.

La Charte, la Commission, la Cour

La Commission et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples sont deux organes principaux du système régional de protection des droits humains. La Commission a été établie par l’Organisation de l’Unité africaine en 1987, en tant qu’institution indépendante sous la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (3). Avec la ratification de la Charte africaine par le Soudan du Sud en mai 2017, celle-ci trouve application pour tous les États du continent, à l’exception du Maroc (4).

Le Protocole à la Charte africaine portant création de la Cour africaine est entré en vigueur en 2004, les juges ont été élus en 2006 et la Cour et la Commission sont ensuite entrées dans un processus d’harmonisation de leurs règlements intérieurs respectifs. La première affaire entendue par la Cour s’est conclue en 2009. En date du mois de mars 2017, 124 requêtes avaient été déposées, 32 décisions avaient été rendues et on comptait 92 affaires pendantes (5). Les normes issues de la Commission et de la Cour sont largement considérées comme progressives, tel que démontré encore une fois récemment par le jugement de la Cour dans l’affaire du peuple autochtone Ogiek du Kenya de mai 2017 (6).

La Commission a longtemps été la plateforme centrale pour la promotion et la protection des droits humains sur le continent africain et continue aujourd’hui d’être le point d’entrée principal pour la saisine par la société civile du système régional. Seulement quelques États Parties à la Charte ont signé une déclaration autorisant leurs citoyens à saisir directement la Cour (Benin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Malawi, Mali, Tanzanie et Tunisie). Pour les citoyens des autres États Parties à la Charte, la Cour africaine n’est accessible qu’au moyen d’un renvoi par la Commission.

Le mécanisme d’experts de la Commission

Parmi les autres raisons de considérer la Commission africaine comme plaque tournante pour les victimes de violation des droits humains, on peut souligner le travail de ses différents mécanismes, tels que les rapporteurs spéciaux et les groupes de travail. Le Groupe de travail sur les industries extractives, l’environnement et les violations des droits de l’homme en Afrique a été créé en novembre 2009 par une résolution de la Commission africaine (7). Son mandat se rapporte en particulier aux droits protégés par la Charte africaine aux articles 21 et 24, soit les droits des peuples à la libre disposition de leurs richesses et ressources naturelles et à un environnement satisfaisant. Il exécute son mandat principalement au moyen d’activités de recherche et de sensibilisation et conduit des visites de pays. Le Groupe exerce également un rôle consultatif pour l’adoption de normes juridiques par la Commission.

Les travaux du groupe depuis 2009 indiquent son intention de ne pas s’en tenir à une définition étroite des ‘industries extractives’ afin de pouvoir réagir aux nombreuses allégations de violations des droits en la matière qui lui proviennent de partout sur le continent. Principalement en raison de la composante environnementale de son mandat, le groupe a jusqu’à présent interprété ses responsabilités de manière large. Il a non seulement examiné les activités d’entreprises qui font l’extraction des ressources naturelles du sol telles que les activités pétrolières et minières, mais il s’est aussi penché sur des activités ayant lieu dans le contexte plus large de l’exploitation des ressources naturelles. Il a par exemple abordé des problématiques liées à la déforestation et aux activités des entreprises agro industrielles, comme la production d’huile de palme au Libéria et au Cameroun.

Actions réalisées et à venir

L’exécution de ce vaste et important mandat s’accompagne de nombreux défis. Le soutien financier octroyé au Groupe de travail par l’Union africaine ne suffit pas et ses travaux sont rendus possibles principalement grâce au financement extérieur et aux partenariats avec la société civile et les institutions académiques et de recherche, qui quant à eux sont précaires. L’efficacité du groupe s’appuie aussi largement sur la capacité de ses membres, qui sont la plupart du temps appelés à contribuer de manière volontaire et à temps partiel. De toute évidence, plus de ressources sont nécessaires pour permettre au Groupe d’accomplir adéquatement son mandat.

Jusqu’à présent, le Groupe de travail a néanmoins complété plusieurs projets tels des rapports de référence sur la Zambie et le Libéria, une visite de pays en Zambie et un rapport suivant cette visite (8). Le Groupe a aussi tenu trois consultations sous-régionales pour les pays du sud, de l’est et du centre du continent. Il est prévu de poursuivre les consultations sous-régionales pour l’Afrique du Nord et de l’Ouest et d’adopter un rapport de synthèse sur les industries extractives et l’environnement pour le continent. Par ailleurs, depuis sa création le Groupe a joué un rôle catalytique dans l’adoption d’un bon nombre de résolutions par la Commission (9) et procède depuis décembre 2016 à la rédaction de Lignes directrices sur les industries extractives pour guider la présentation des rapports des États devant la Commission (10).

Le Groupe est également appelé à développer plus en détails sa position en ce qui concerne la pertinence et la portée pour l’Afrique des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme adoptés par les Nations Unies en 2011 (11). Ce travail prend forme à la lumière des échanges en cours au sein de l’Union africaine relativement au projet de document de politique sur les entreprises et les droits humains (12). Une question centrale et épineuse est celle de l’application pratique du principe du consentement libre, informé et préalable, des communautés, tel que reconnu par le droit international.

Le Groupe de travail a tenu sa plus récente rencontre en septembre 2017 à Dakar au Sénégal. Durant cette rencontre il a défini quatre secteurs de priorités stratégiques, soit la recherche et le développement de cadres normatifs; la visibilité des travaux du groupe et son partenariat avec l’ensemble des parties prenantes; le développement d’un mécanisme de réponse pour les cas urgents; ainsi que la solidification du soutien apporté à ses activités. Plusieurs projets concrets adressant chacun de ses objectifs stratégiques sont déjà en cours d’exécution, mais les travaux du Groupe nécessiteront le soutien accru et renforcé de la communauté internationale afin de réaliser son immense potentiel d’impact et d’ainsi mieux veiller au respect des droits humains dans le contexte de l’environnement et des industries extractives sur le contient africain.

*Valérie Couillard est membre du Barreau du Québec depuis 1999. Après avoir pratiqué quelques années à Montréal, elle a agi pendant deux ans en tant que «Legal Officer» Assistante à la Rapporteure Spéciale des droits des femmes en Afrique de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, située à Banjul en Gambie. Ensuite en tant qu’avocate au sein du Forest Peoples Programme, une ONG internationale basée au Royaume-Uni et soutenant les droits fonciers des peuples autochtones des forêts, elle a dirigé des activités de litige stratégique pour les projets reliés à l’Afrique et aux droits des femmes et a été responsable des programmes juridiques internationaux. Elle agit depuis 2009 en tant que Membre Expert du Groupe de travail sur les industries extractives, l’environnement et les violations des droits de l’homme en Afrique et pratique aujourd’hui comme conseillère juridique indépendante en droit international des droits humains.

(1) Ci- après « le Groupe » ou « le Groupe de travail ». De plus amples informations (toutefois non exhaustives) sur le Groupe sont disponibles au https://www.achpr.org/fr/mechanisms/extractive-industries/.
(2) Ci- après « la Commission ».
(3) Ci- après « la Charte ».
(4) Le Maroc est le seul était du continent qui n’a pas encore ratifié la Charte africaine, une des principales raisons étant la reconnaissance par l’Union africaine de la République sahraouie. Toutefois, comme le Maroc a récemment effectué un retour au sein de l’Union africaine (UA) et déposé trois instruments de ratification se rapportant à d’autres instruments juridiques de l’UA, en 2017, il est attendu qu’il ratifiera la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples prochainement.
(5) Source: https://fr.african-court.org/index.php/12-homepage1/1-welcome-to-the-african-court.
(6) Requête no 006/2012 – Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. République du Kenya. Le texte de la décision disponible en anglais au : https://en.african-court.org/images/Cases/Judgment/Application%20006-2012%20-%20African%20Commission%20on%20Human%20and%20Peoples’%20Rights%20v.%20the%20Republic%20of%20Kenya..pdf; Un court vidéo sur l’affaire Ogiek est disponible au : https://www.youtube.com/watch?v=eGD5lJGkbgk&feature=youtu.be.
(7) https://www.achpr.org/fr/sessions/46th/resolutions/148/.
(8) La visite du Groupe au Libéria prévue pour 2014 a due être reportée et ensuite annulée en raison de l’épidémie du virus Ebola.
(9) Résolution relative à la Déclaration de Niamey visant à garantir le respect de la Charte africaine dans le secteur des industries extractives – CADHP/Rés. 367 (LX) 2017, https://www.achpr.org/fr/sessions/60th/resolutions/367/; Résolution 271 sur le changement climatique en Afrique https://www.achpr.org/fr/sessions/55th/resolutions/271/; 236: Résolution sur la fuite illicite des capitaux en provenance d’Afrique, https://www.achpr.org/fr/sessions/53rd/resolutions/236/; 224: Résolution sur une Approche de la Gouvernance des Ressources naturelles basée sur les Droits de l’Homme, https://www.achpr.org/fr/sessions/51st/resolutions/224/.
(10) Ces lignes directrices spéciales complémenteront les lignes directrices générales pour la présentation des rapport des États en vertu de la Charte africaine.
https://www.achpr.org/fr/sessions/59th/resolutions/364/.
(11) Résolution 17/4 du 16 juin 2011. Les Principes Directeurs sont disponibles au: https://www.ohchr.org/Documents/Publications/GuidingPrinciplesBusinessHR_FR.pdf.
(12) https://au.int/en/pressreleases/20170321/validation-workshop-african-union-policy-business-and-human-rights.

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