AHQ Nouvelles-News RSS Me Dominic Voisard: Avocats sans frontières Canada

AHQ : Comment vous êtes-vous tourné vers la pratique du droit à l’étranger?
DV : Mon cheminement académique en droit international m’a naturellement amené à vouloir pratiquer le droit à l’étranger. Dans le cadre de mes études de maîtrise, j’ai eu l’opportunité de m’impliquer dans les activités de la Clinique de droit international pénal et humanitaire de l’université Laval « CDIPH ». Cette initiative de la Professeure Fannie Lafontaine permet aux étudiants d’acquérir une expérience pratique tout en poursuivant leurs études. Les étudiants se voient donc assigner des mandats sous la supervision d’avocats exerçant devant des juridictions internationales ou nationales. Pour ma part, la CDIPH m’a permis d’acquérir mes premières expériences pratiques en droit international. C’est de cette façon que je me suis retrouvé au sein d’Avocats sans frontières Canada (ASFC) pour appuyer le travail des représentants des victimes dans l’affaire Ríos Montt au Guatemala. Cet ancien dictateur accusé de génocide et de crimes de guerre venait tout juste de faire sa première comparution lorsque j’ai commencé mon mandat de recherche. Quelques mois plus tard, je me suis envolé vers le Guatemala, dans le cadre du programme international de stage du Barreau du Québec, où j’ai continué d’appuyer le travail des représentants des victimes dans la même affaire.

AHQ : Pouvez-vous nous décrire votre travail en Haïti?
DV : À la suite de mon expérience au Guatemala, j’ai été coordonnateur de projet en Haïti pour ASFC. J’assumais un double rôle de gestionnaire et de conseiller juridique. D’une part, j’assurerais le suivi des activités et projets d’ASFC, notamment en entretenant des liens avec les organisations partenaires, les bailleurs de fonds, les autorités et les autres intervenants de la société civile. D’autre part, je devais apporter mon concours juridique à notre partenaire, le Collectif contre l’impunité, dans le cadre du procès contre Jean-Claude Duvalier et consorts, notamment en partageant l’expérience acquise au Guatemala dans le dossier contre l’ancien dictateur Ríos Montt. Il fallait donc organiser le dossier, analyser les éléments de preuve, diriger le travail des enquêteurs dans les archives haïtiennes et étrangères afin de mettre la main sur de nouvelles preuves à charge. J’ai également été appelé à participer à la rédaction d’un mémoire présenté à la Cour de cassation, plus haute instance judiciaire d’Haïti.

AHQ : Quel a été le défi le plus difficile à relever à Port-au-Prince?
DV : Une réalisation professionnelle dont je suis particulièrement fier est l’organisation de séminaires de formation sur les violences sexuelles en collaboration avec des organisations non gouvernementales haïtiennes, le Barreau de Port-au-Prince et l’École de la magistrature. Ces séminaires ont permis de sensibiliser plus de 40 avocats et magistrats haïtiens sur les normes internationales relatives aux violences faites aux femmes. En outre, une procureure québécoise leur a présenté le modèle de justice canadienne applicable aux agressions sexuelles et autres violences de genre dans une perspective comparative. Je suis d’autant plus fier de cette réalisation, car il s’agissait pour moi de ma première organisation de séminaires de formation et de surcroît dans une ville que je connaissais encore peu. J’ai dû rapidement faire appel au réseau de contacts de l’organisation afin de pouvoir mener à bien cette activité de formation.

AHQ : Pouvez-vous nous décrire votre expérience à titre de conseiller juridique volontaire au Guatemala?
DV : Je faisais partie d’une équipe de juristes au sein des parties civiles qui appuyaient le travail du Ministère public. Son enquête, alimentée par les victimes, était déjà terminée lorsque je suis arrivé au Guatemala. J’ai par contre participé à plusieurs rencontres stratégiques dont le but était notamment de débattre de la valeur des éléments de preuve présents au dossier et de discuter de la théorie de la cause. Un autre aspect de mon travail consistait à appuyer l’équipe dans la rédaction d’argumentaires juridiques servant à contrecarrer les nombreuses requêtes interlocutoires, et mémoires d’appels frivoles et dilatoires présentés par les avocats de l’ancien dictateur et ses coaccusés. J’ai également participé à la préparation avant procès des quelque cent témoins du Ministère public et des parties civiles. Au terme d’un procès qui a duré deux mois, l’ancien dictateur Rios Montt a été condamné pour génocide et crimes de guerre. Toutefois, la Cour constitutionnelle a, par le biais d’une procédure d’exception, annulé le procès pour des raisons procédurales puis ordonné un procès de novo (qui devrait avoir lieu en janvier 2015). J’ai donc par la suite participé à la préparation d’une plainte déposée au nom des victimes à la Commission interaméricaine des droits de l’Homme en novembre 2013 dans laquelle nous alléguions notamment la violation par l’État guatémaltèque du droit à l’accès à la justice et au procès équitable. Cette expérience au Guatemala m’a permis de mieux comprendre comment on arrive à faire la preuve de la responsabilité d’un haut dirigeant dans la commission d’un crime international. Elle m’a également permis de me familiariser avec les rouages du système interaméricain de protection des droits de l’Homme.

AHQ : Pouvez-vous nous dire ce qu’il y a de plus étonnant à propos d’Haïti?
DV : Ayant travaillé sur le dossier du régime Duvalier, je m’étonne de voir que la jeune génération d’Haïtiens tient parfois un discours nostalgique de l’époque de la dictature qu’ils n’ont par ailleurs pas vécue, arguant notamment que l’économie était plus prospère à cette époque et que les rues de Port-au-Prince étaient plus sécuritaires. Ce n’est pas un discours que nous sommes habitués d’entendre au Québec puisque plusieurs familles de la diaspora haïtienne ont subi directement les excès du régime des Duvalier. Comparativement, la plupart des pays d’Amérique latine qui ont vécu des dictatures similaires durant la guerre froide sont passés par un processus de justice transitionnelle. Or en Haïti les crimes du régime dictatorial n’ont pas fait l’objet d’une commission de vérité et les auteurs présumés de ces crimes jouissent jusqu’à maintenant d’une impunité totale. En outre, Il semble que cette période ne soit pas abordée à l’école ou très peu ce qui fait craindre que la société haïtienne ne tire de leçons de cette partie sombre de son histoire.

AHQ : Qu’est-ce qui vous a manqué le plus du Québec?
DV : Les pays dans lesquels ASFC travaille sont généralement caractérisés par l’insécurité et l’instabilité politique, ainsi que par un système judiciaire plus fragile. Mes expériences m’ont appris à valoriser davantage notre système de droit. Haïti, par exemple, n’a pas apporté de réforme substantielle à son code pénal et son code d’instruction criminelle depuis le début du 19e siècle. La jurisprudence de la cour de cassation haïtienne n’est malheureusement plus publiée. Haïti et le Guatemala occupent d’ailleurs un rang peu envieux au palmarès des États dans lesquels il y a un taux très élevé de corruption et d’atteintes à l’indépendance du système judiciaire, ce qui rend notre travail évidemment beaucoup plus compliqué.

AHQ : Quels conseils donneriez-vous à des jeunes avocats désirant travailler en Haïti?
DV : Haïti bouillonne d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’organisations internationales (OI) qui observent la situation des droits humains. Plusieurs avocats québécois œuvrent en Haïti que ce soit au sein d’ONG internationales comme ASFC ou encore d’OI telles que l’Organisation des États Américains (OÉA), l’Organisation des Nations Unies (ONU), ou l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Je conseillerais aux jeunes avocats comme moi de ne pas sous-estimer les activités de réseautage que ce soit pour travailler avec un organisme œuvrant en Haïti ou ailleurs. Une première expérience bénévole, comme stagiaire ou dans une clinique universitaire de droit international peut également permettre aux jeunes avocats pratiquant en droit interne de faire le saut vers une pratique internationale. Enfin, la maitrise des langues, du créole en l’espèce, serait évidemment un atout considérable pour ceux qui souhaitent travailler dans ce pays.

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