Entretien avec Me Gabrielle Marceau, PhD

Entretien avec Me Gabrielle Marceau, PhD

Membre du Barreau du Québec depuis 1983, Me Gabrielle Marceau a mis sa passion et son grand enthousiasme au profit d’une pratique internationale. Son apport au droit commercial international est impressionnant. Elle a notamment fait partie des quatre juristes œuvrant en litige au sein de la Division des Affaires juridiques du Secrétariat de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), au début de l’Organe de règlement des différends (ORD).  À ses tout premiers débuts, elle a travaillé sur des dossiers de renom, dont États-Unis – Normes concernant l’essence nouvelle et ancienne formulesCommunautés européennes – Désignation commerciale des pectinidés ou encore Japon – Taxes sur les boissons alcooliques. L’apport de Me Marceau est également bien reconnu dans le milieu académique, que ce soit par les formations et cours qu’elle a donnés ou par l’abondance d’articles et d’ouvrages qu’elle a rédigés ou corédigés au cours de sa carrière.

Une pratique axée sur le droit commercial international

Partie en Angleterre, au pays des « autobus rouges et de Mary Poppins », pour entreprendre une maîtrise en droit international public à la London School of Economics puis un doctorat en droit international à la University of London, Me Marceau a rédigé sa thèse doctorale sur le sujet des droits anti-dumping et anti-trust dans le cadre de divers accords régionaux. Elle nous indique que c’est lorsque sa thèse a été acceptée par la maison d’édition Oxford, puis traduite, qu’elle a décidé de plonger dans le milieu – elle savait désormais expliquer ce qu’elle avait à offrir.

À son entretien d’embauche avec le directeur de l’époque, Me Marceau ne mâche pas ses mots, elle lui indique qu’un poste au sein du Secrétariat du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), désormais l’OMC, est le rêve de sa vie, sa mission – elle est embauchée sur le champ ! Ce qui l’attire particulièrement dans ce domaine est la manière par laquelle les affaires internationales deviennent un outil pour réduire les tensions entre les pays. À ce sujet, elle nous partage une vieille citation, qu’elle utilise d’ailleurs toujours à la première séance de son cours WTO Law and Practice : « When goods don’t cross borders, soldiers will ».

Depuis son arrivée au Secrétariat du GATT en 1994, Me Marceau a multiplié les rôles et mandats. Dès son entrée en fonction et jusqu’en 2005, elle fait partie des quelques avocats en litige au sein de la Division des affaires juridiques. Lorsqu’elle a été embauchée, le système du règlement des différends était naissant – tout était à construire. Me Marceau nous raconte une anecdote particulièrement intéressante : lorsqu’elle est arrivée, il y avait très peu de règles de procédure, elle a dû travailler avec ses collègues et les parties et afin d’en mettre en place. « Quand je pense aux chances uniques que j’ai eues il y a trente ans, je me considère chanceuse d’avoir été là à ce moment-là, même si j’en ai travaillé un coup ! »

En 2005, Me Marceau a été approchée par le Directeur général de l’OMC à l’époque, M. Pascal Lamy, qui lui a proposé de devenir conseillère juridique au sein de son cabinet. Elle a donc travaillé de manière plus rapprochée sur des dossiers qui lui offraient une vue horizontale du travail de l’OMC.

En 2010, elle est revenue au litige, au sein de la Division des services juridiques et a de nouveau travaillé sur des dossiers d’envergure pendant près de dix ans. Elle a notamment travaillé sur l’affaire États-Unis – Mesures visant la fourniture transfrontières de services de jeux et paris ainsi que l’affaire Chine – Mesures relatives à l’exportation de terres rares, de tungstène et de molybdène.

En 2016-2017, Me Marceau a même été nommée Directrice par intérim de la division des affaires juridiques, expérience qu’elle qualifie d’extraordinaire.

En 2020, elle a voulu retourner à la recherche et travaille depuis comme conseillère sénior à la Division de la recherche du Secrétariat de l’OMC. Elle apprécie particulièrement de pouvoir collaborer avec ses collègues économistes et d’œuvrer dans le domaine des politiques juridiques du droit international économique et sur le rôle de l’OMC.

Une passion pour le milieu académique

Peu de temps après avoir fini son doctorat, on lui a proposé de donner une maîtrise « accélérée » sur le sujet du commerce et de la diplomatie à des fonctionnaires australiens à l’université Monash, à Melbourne. Après cette expérience de trois ans, elle est invitée par la Professeure Laurence Boisson de Chazournes à donner une leçon dans son cours. Elle enseignera par la suite le droit de l’OMC durant deux ans comme chargée de cours au département du droit international public et organisation internationale de l’université de Genève (UNIGE), avant de devenir Professeure associée.  Depuis 2000, Me Marceau enseigne le droit de l’OMC et le droit international économique « en pratique » à l’UNIGE.

Son amour pour l’apprentissage, la pédagogie et le mentorat, transparait à travers ses paroles. Il s’agit d’ailleurs certainement de la raison pour laquelle elle a donné formations, conférences et cours réguliers (dont le Masters in International Dispute Settlement) au sein de huit institutions universitaires et supervise aujourd’hui la recherche de dix doctorants à l’UNIGE.

Tout au long de sa carrière, Me Marceau s’est également démarquée par sa passion pour la recherche et la rédaction de travaux académiques. Elle cumule d’innombrables articles, trois ouvrages et plusieurs chapitres d’ouvrages collectifs, tous au sujet de divers aspects du droit commercial international.

Toujours engagée, Me Marceau siège encore aujourd’hui sur plusieurs conseils de maisons d’édition, dont ceux du journal of World Trade, du journal of International Economic Law et est coéditrice de la série sur les études en droit international du commerce et de l’investissement de Hart Publishing. Elle est par ailleurs également membre fondatrice de la Société de droit international économique et a été Présidente de la Society of International Economic Law entre 2012 et 2018.

Des défis à la hauteur de ses responsabilités

Avec une grande franchise, Me Marceau nous raconte qu’elle a surmonté de nombreux défis au cours de sa carrière.

Fraichement arrivée aux Services juridiques de l’OMC, Me Marceau part rapidement en voyage de formation technique à Taipei et à Hong Kong afin de faire de la formation sur le règlement des différends, notamment pour les litiges textiles. Elle nous confie que jusqu’à ce moment, elle n’avait pas beaucoup voyagé et que très honnêtement, elle « crevait de peur ». Pendant quelques secondes, elle fixe les quelques soixante tourniquets qui la séparent de la zone d’embarquement de l’aéroport, se disant qu’elle ne pourra jamais les franchir, mais elle se lance ! Lors de la première journée de travail, elle dîne au restaurant avec ses hôtes, qui pendant un court instant, posent leur regard sur elle afin de déterminer si elle serait en mesure de manger avec des baguettes. Heureusement qu’un vieil ami lui avait appris des années auparavant ! Elle finit par impressionner ses hôtes, qui reconnaissent la grande aisance qu’elle a de manier les baguettes.

Sur le plan professionnel, un des plus grands défis qu’elle relève est en 2021, où Me Marceau nous raconte penser « mourir d’inquiétude ». Ayant fait de nombreuses présentations au préalable, elle ne se considère pas particulièrement effrayée par l’idée de prendre la parole en public. Cette fois-ci, cependant, elle doit présenter les réformes à l’OMC aux représentants des membres du G20. La difficulté ne provient pas du sujet, qu’elle connait et documente depuis que la réforme s’est entamée, mais bien de l’importance du rôle et du tact qu’elle doit employer afin de respecter les représentants de certains États. Tout se passe finalement très bien.  L’année suivante, elle présente une deuxième fois – on lui fait toutefois la remarque que le fait de prendre comme exemple de réforme des propositions canadiennes sur le renforcement des fonctions de délibération de l’OMC, est biaisé !

Sur le rôle de l’OMC à travers les moments houleux

Lorsque nous lui demandons l’effet qu’ont eues les tendances économiques isolationnistes des dernières années sur le travail qu’entreprend l’OMC, Me Marceau nous répond qu’elles n’ont pas immédiatement changé le travail de base de l’OMC, mais ont entraîné une guerre commerciale entre notamment la Chine et les États-Unis, et avec d’autres pays, diminué l’efficacité du système du règlement des différends, et dans une certaine mesure, la confiance des pays vis-à-vis de ce système et de l’OMC.

Cet isolationnisme, toutefois, ne peut pas continuer indéfiniment. Les problèmes sociétaux actuels, que ce soit la pandémie, la faim dans le monde, les changements climatiques, sont d’une telle taille que même les États dits les plus puissants, ne peuvent les résoudre à eux seuls.

La collaboration de tous les acteurs : étatiques, gouvernementaux, publics, privés, économiques, sociaux, et institutionnels est maintenant nécessaire pour faire face aux multiples crises nationales et internationales. Pour Me Marceau, l’OMC a pleinement assumé ses nouvelles responsabilités. Pendant la pandémie, l’OMC était et elle le demeure aujourd’hui « pivotale » pour le développement économique, social, environnemental et durable. Ce qui est fascinant en droit international, c’est cette capacité unique des organisations internationales de rapidement s’adapter aux exigences de leurs membres et à faire preuve d’efficacité dans leurs réponses à des besoins qui n’avaient jamais été envisagés.

Ses conseils pour les jeunes avocates et avocats

« Osez, allez au fond de votre cœur ! Ce sont les passions qui rassasiassent l’esprit ! » Me Marceau nous raconte qu’elle avait de grands rêves, de grandes idées, mais aucun contact à l’OMC. Elle nous dit qu’il ne faut surtout pas avoir peur de trébucher, de tomber, de se tromper. Il faut travailler très fort et bien s’entourer. Elle conseille d’ailleurs, en terminant, à ceux qui souhaitent travailler en droit international d’approcher ceux qui œuvrent déjà dans le domaine et d’avoir confiance en soi, ou du moins de faire semblant dans les moments plus difficiles !