Naissance à l’étranger et citoyenneté canadienne

NAISSANCE À L’ÉTRANGER ET CITOYENNETÉ CANADIENNE

par

Me MICHÈLE VALLÉE

 

Le parent canadien présume souvent à tort qu’il peut transmettre sans embûche la citoyenneté canadienne à son enfant né à l’étranger. Malheureusement, s’il s’agit d’un « enfant de deuxième génération né à l’étranger », il découvre uniquement lors de la demande de citoyenneté que l’immigration constitue la seule voie d’accès de son enfant à la citoyenneté canadienne.

 La citoyenneté canadienne s’acquiert par voie de naissance sur le territoire (jus soli), par voie de filiation lors d’une naissance à l’étranger si un des parents est de nationalité canadienne (jus sanguinis), par voie d’immigration (naturalisation) ou, dans des cas plus limités, par voie d’attribution ministérielle (Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, par. 5(4)).

Un amendement à la Loi sur la citoyenneté applicable depuis le 17 avril 2009, limite le droit d’un parent canadien à transmettre sa citoyenneté à son enfant né à l’étranger. Cette mesure législative s’applique si ce parent est lui-même né à l’étranger et a obtenu la citoyenneté canadienne par voie de filiation. Toutefois, cette règle trouve exception dans le cas où le parent a acquis la citoyenneté canadienne par voie de naturalisation, ou qu’il est à l’emploi à l’étranger du gouvernement du Canada ou d’une province, sans avoir été recruté localement (par. 3(3) à (5)). 

Deux exemples illustrent les conséquences de cette mesure. Alexandre et Jean-François naissent à l’étranger. Ils obtiennent la citoyenneté canadienne par voie de filiation, les deux parents d’Alexandre ainsi que ceux de Jean-François étant Canadiens. Leur fratrie respective, née au Canada, est canadienne. Alexandre, à l’âge de 2 ans et Jean-François, à l’âge de 18 mois, s’établissent au Canada. Toute leur formation (garderie, études primaires et secondaires, CÉGEP, université), leurs emplois, le paiement d’impôt, de contributions sociales (assurance-emploi, assurance parentale, RRQ) surviennent au Canada, jusqu’à leur départ pour travailler à l’étranger. Alexandre y travaille dans le privé, Jean-François œuvre pour une organisation humanitaire internationale.

Chacun devient éventuellement père d’un enfant né à l’étranger dont la mère ne détient pas la citoyenneté canadienne. Ils ne peuvent transmettre la citoyenneté canadienne par voie de filiation puisqu’ils sont eux-mêmes nés à l’étranger et ce, malgré le fait qu’ils aient habité de façon continue au Canada durant plus de 25 ans dans le cas d’Alexandre, et plus de 30 ans pour Jean-François. Paradoxalement, le père d’Alexandre a immigré au Canada avec ses parents à l’âge d’un an. Il a quitté le Canada avec ceux-ci à l’âge de 8 ans lorsqu’ils ont acquis la citoyenneté canadienne en 1956. En 2010, son épouse qui n’a pas la citoyenneté canadienne, donne naissance à leur fils à l’étranger. Au contraire d’Alexandre, son père peut transmettre la citoyenneté canadienne à ce nouveau-né, puisque sa propre citoyenneté canadienne a été obtenue par voie de naturalisation, et non par voie de filiation.

Jean-François a dû présenter une demande de parrainage et revenir au Canada pour que son « enfant de deuxième génération né à l’étranger » puisse obtenir la résidence permanente. Alexandre devra procéder de la même façon.

L’impossibilité pour le parent canadien d’un enfant de deuxième génération né à l’étranger de prouver les liens forts et substantiels qui l’unissent au Canada a été dénoncée avec vigueur lors de l’étude du projet de loi en comité au Sénat. Le rapport du comité qualifie cette disposition d’arbitraire et d’injuste, puisqu’elle prive les parents du droit de démontrer l’existence de tels liens (Débats du Sénat (Hansard) 2e Session, 39e Législature, Volume 144, Numéro 51). Le projet de loi contenant plusieurs autres mesures importantes, il a néanmoins été adopté unanimement par le Sénat et la Chambre des communes.

L’année suivant son adoption, un comité de la Chambre des communes a recommandé que le gouvernement du Canada permette la transmission de la citoyenneté par filiation pour les enfants nés à l’étranger d’un parent canadien à condition que le parent canadien ait résidé au Canada pendant une certaine période, qui sera déterminée par voie législative, précédant la naissance de l’enfant (CIMM – juin 2009 – 40e législature, 2e session).

Par la suite, un député libéral, monsieur Mauril Bélanger, a présenté un projet de loi (C-443 – 2e session – 40e législature), en septembre 2009, afin d’ajouter une exception à la règle d’inapplicabilité après la première génération dans le cas des personnes employées à l’étranger pour certains organismes internationaux. Mesdames Olivia Chao et Jenny Kwan, députées NPD, ont chacune présenté un projet de loi émanant d’un député, respectivement en mai 2009 et en décembre 2016, afin de permettre la reconnaissance des liens du parent avec le Canada (C-397 – 2e session, 40e législature et C-333 – 1re session, 42e législature). Tous ces projets de loi sont morts au feuilleton. Enfin le gouvernement libéral n’a pas donné suite à une pétition en ce sens, E-517, déposée à la Chambre des Communes en 2017.

L’arrivée du gouvernement libéral avait pourtant suscité beaucoup d’espoir. En effet, le premier ministre Trudeau a procédé aux modifications législatives suivantes : amendement à la Loi électorale du Canada afin de permettre aux citoyens canadiens résidant à l’étranger de voter aux élections fédérales, amendement à la Loi sur la citoyenneté afin d’empêcher la perte de la citoyenneté canadienne pour une personne jugée coupable de terrorisme, amendements à cette même législation pour permettre aux immigrants d’allonger la période d’absence de résidence dans la computation de la période donnant droit à la naturalisation. La démarche juridique visant à déclarer inconstitutionnelle la disposition de la Loi sur la citoyenneté qui empêche la transmission de la citoyenneté canadienne à un enfant de deuxième génération né à l’étranger même si le parent canadien pourrait démontrer l’existence de liens concrets et tangibles qui l’unissent au Canada ne vise aucunement à empêcher la transmission de la citoyenneté par un parent dont la citoyenneté a été acquise par voie de naturalisation.

L’argumentaire repose sur la discrimination subie par le parent dont la citoyenneté est acquise par voie de filiation (Charte canadienne des droits et libertés, article 15). Dans les cas d’Alexandre et de Jean-François, la valeur de cette citoyenneté ne leur permet pas de jouir des mêmes droits attribués à la citoyenneté par naturalisation, et ce malgré qu’ils aient résidé au Canada, à titre de Canadiens, durant une période substantiellement plus étendue que celle exigée pour l’obtention de la citoyenneté par un immigrant, soit plus de 5 fois plus longtemps pour Alexandre, et plus de 6 fois plus longtemps pour Jean-François.

Le gouvernement réplique que le parent n’a qu’à revenir s’établir au Canada et à parrainer son enfant qui pourrait alors devenir citoyen canadien par voie de naturalisation. Pourquoi le parent canadien par voie de naturalisation ne serait-il pas, lui aussi, contraint à faire de même pour que son enfant né à l’étranger puisse acquérir la citoyenneté canadienne ? Cette obligation de retour au Canada restreint la liberté de mouvement du parent et de sa famille, notamment en ce qui concerne le travail ou les études à l’étranger.

Les dossiers d’Alexandre et de Jean-François ont été soumis à Me Julius Grey. Une poursuite invoquant l’inconstitutionnalité de cette disposition, notamment pour cause de discrimination interdite par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés est en attente de financement. Une demande de financement auprès du Programme de contestation judiciaire a été refusée pour le motif qu’un financement avait déjà été accordé par le programme pour la même question juridique. Le programme ne dévoile pas les noms des bénéficiaires du financement.

Une poursuite portant sur cette disposition de la Loi sur la citoyenneté a été intentée en décembre 2021 en cour supérieure de l’Ontario à Toronto (Bjorkquist et al. v. Attorney General of Canada). Une décision de la cour d’appel fédéral a rejeté la demande d’enfants de deuxième génération nés à l’étranger d’obtenir la citoyenneté canadienne (Kinsel c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration 2014 FCA 126). Il importe de noter que le parent n’était pas partie au litige et que ses liens ou ceux des enfants avec le Canada n’ont pas été évoqués. Une rumeur à l’effet que des litiges potentiels portant sur cette problématique aient été réglés par voie d’attribution ministérielle de la citoyenneté n’a pu être vérifiée.

 

Michèle Vallée

Avocate m.fisc.

http://www.michelevallee.com