Entrevue avec Me William St-Michel, Conseiller juridique à l’Organisation mondiale de la santé, à Budapest, Hongrie

Me William St-Michel a généreusement accepté de répondre aux questions d’AHQ concernant son parcours hautement diversifié en droit international pénal, humanitaire et administratif.

1. Depuis votre assermentation en 2008, vous avez travaillé comme auxiliaire juridique pour la Cour d’appel du Québec ainsi que pour deux tribunaux pénaux internationaux, vous avez été assistant de recherche et vous avez travaillé comme conseiller juridique au sein de plusieurs organisations internationales : quel est le fil conducteur de votre parcours professionnel?

Le fil conducteur de mon parcours professionnel, s’il en est un, est une passion pour les affaires internationales, une passion que je nourris depuis mon plus jeune âge. Le droit international et ses différentes branches me permettent de combiner cet intérêt avec ma formation juridique. Dès la fin de mes études, j’ai eu la chance d’effectuer mon stage du Barreau au sein d’une équipe de défense devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haye, aux Pays-Bas. Mon intérêt initial pour le droit international pénal s’est ensuite élargi à d’autres domaines du droit international. Toujours est-il qu’une ambition pour une carrière internationale est difficile à tracer à l’avance ; le chemin s’ouvre de lui-même, au gré des opportunités.

Toutefois, avant de réellement débuter mon aventure internationale, j’ai travaillé à la Cour d’appel du Québec, d’abord en tant qu’auxiliaire juridique puis ensuite au sein du greffe. Cette expérience a été un élément fondateur de mon parcours. Elle m’a permis d’acquérir et de consolider des compétences en matière de recherche et de rédaction juridique, tout en élargissant mes connaissances dans plusieurs domaines du droit québécois et du droit canadien. La Cour d’appel est un environnement intellectuel exigeant et mes apprentissages me servent encore aujourd’hui, à des milliers de kilomètres de distance.

2. Avant de joindre l’Organisation mondiale de la santé en 2019, vous avez travaillé pendant un an en République démocratique du Congo comme conseiller juridique d’abord pour la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), puis pour le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH). Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant ces deux mandats?

Le Congo est un pays fascinant. C’est un jeune pays, mais son peuple est éprouvé depuis très longtemps par des conflits sanglants et des abus financiers systémiques. Le peuple congolais fait toutefois preuve d’une résilience sans faille. D’avoir été au contact des Congolais, dans le cadre de deux mandats complètement différents—le maintien de la paix, d’une part, et l’assistance aux structures judiciaires, d’autre part—m’a donc énormément appris au plan personnel.

Au plan professionnel, je reviens du Congo avec plus de questions que de réponses sur la coopération internationale. Mon premier mandat au Congo a été au sein du bureau des affaires juridiques de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, l’une des plus anciennes et la plus large des missions de maintien de la paix établies par les Nations Unies. Le travail était exaltant ; nous soutenions les opérations de la Mission en pleine période de transition politique. Toutefois, à cette époque, la Mission faisait l’objet de critiques pointant surtout vers l’absence de résultats tangibles en matières sécuritaire et sociale. À mon sens, la Mission joue un rôle essentiel en tant que garante de la paix. Cependant, nul doute que son mandat peut être affiné et amélioré.

Mon deuxième mandat au Congo, cette fois avec le Bureau de la Haute-Commissaire pour les droits de l’homme, m’a amené à réfléchir sur l’aide humanitaire au sens large. Notre bureau soutenait les efforts des procureurs et des enquêteurs domestiques dans leurs efforts pour traduire en justice les auteurs présumés de crimes graves commis dans la région du Kasaï. J’ai constaté que l’aide humanitaire soulageait, mais sans pérennité. L’aide et les intervenants se succèdent sans perspective de durabilité. De plus, les initiatives simultanées empiètent souvent les unes sur les autres. À mes yeux, la coordination et le suivi sont des éléments qui doivent guider toute intervention humanitaire.

3. Pouvez-vous nous décrire votre rôle actuel de conseiller juridique au sein de l’Organisation mondiale de la santé? Votre rôle a-t-il été affecté par l’éclosion de la pandémie mondiale de la COVID-19?

Je suis conseiller juridique au sein de la structure interne qui est en charge d’examiner les griefs soulevés par les membres du personnel concernant leurs conditions d’emploi. L’Organisation mondiale de la santé est une très vaste organisation internationale, avec—comme son nom l’indique—une présence partout sur la planète. Plus de 7000 personnes y travaillent sur les cinq continents. En pareil contexte, pour s’assurer du bon fonctionnement de l’Organisation, il est essentiel que les griefs soient résolus promptement. Il y a trois ans, une structure a été établie pour améliorer le traitement des griefs. Ceux-ci sont examinés par des groupes ad hoc composés de trois membres du personnel. Ce système de « revue par les pairs » (« peer review ») est soutenu par une équipe de juristes dont je fais partie.

Mon travail est donc périphérique au mandat de l’Organisation. Mis à part le télétravail, mon travail quotidien n’a pas été impacté. J’ai pu néanmoins être témoin du rôle d’avant-plan joué par l’Organisation dans la réponse internationale à l’épidémie de la COVID-19.

4. Parmi l’ensemble de vos expériences professionnelles, laquelle s’avère la plus utile à votre présente pratique?

Toutes! À chaque fois que j’ai commencé un nouvel emploi, tout le bagage que j’avais acquis auparavant, même dans des domaines qui n’étaient pas nécessairement connexes, m’était utile pour affronter mon nouveau défi professionnel. Dans le cadre de mes fonctions actuelles, c’est l’ensemble de mon vécu en tant que fonctionnaire international qui m’est utile. Le fait d’avoir travaillé pour différentes organisations internationales dans différents contextes—tant sur le terrain qu’au siège—m’a permis de gagner en familiarité avec les droits et obligations des fonctionnaires internationaux. Cette connaissance m’est particulièrement utile dans le cadre de mes recherches et lors de la rédaction d’avis juridiques. Je n’ai aucun doute que les compétences que je développe dans mon emploi actuel me seront utiles dans mon prochain emploi.

5. Depuis 2012, votre pratique du droit vous a transporté à La Haye, Pays-Bas, à Kinshasa et à Kananga en République démocratique du Congo ainsi qu’à Budapest en Hongrie. Quel est, à votre avis, le plus grand défi du praticien en droit international qui désire pratiquer à l’étranger?

S’agissant des organisations internationales, les juristes québécois ont cet avantage d’avoir étudié dans un environnement bi-juridique et d’avoir, souvent, une aisance professionnelle en français et en anglais, voire dans d’autres langues. En revanche, les Québécois et Canadiens sont souvent sur-représentés par rapport au poids démographique du pays, ce qui peut les défavoriser au moment du recrutement. Le plus grand défi pour les juristes québécois—comme pour toute personne désirant joindre une organisation internationale—est de développer un profil qui les distingue des autres candidats. Cela peut se traduire soit par une spécialisation dans un domaine en particulier, soit par un parcours diversifié. De plus, à mon avis, il ne faut jamais perdre de vue ses racines, celles qui font ce que nous sommes aujourd’hui. Il faut continuer à s’intéresser au développement du droit dans son pays d’origine, car c’est ce socle en droit national qui constitue notre plus-value au sein de l’organisation.

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