Me Aref Fakhry: Avocat en Suède

AHQ : Comment êtes-vous passé du Québec à l’étranger?

J’ai toujours eu en moi la verve du voyage, étant originaire d’une terre d’émigration (le Liban) et surtout voulant donner le plein envol à une carrière choisie dans un secteur—le droit maritime—foncièrement international. Je débutais comme avocat au sein d’un grand cabinet montréalais (Stikeman Elliott) lorsqu’une offre de stage au sein de la Commission européenne à Bruxelles m’a ouvert la voie. Depuis, les mandats ont suivi d’un pays à l’autre.

Il faut dire que j’ai été assez ouvert à l’idée de faire du droit autrement que d’une manière classique. En ce sens, j’ai cumulé la pratique, le conseil et l’enseignement. Cela m’a amené à travailler pour des organismes tels que l’Organisation maritime internationale (OMI) basée à Londres, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement située à Genève, le Programme des Nations unies pour l’environnement établi à Nairobi, et j’en passe. J’ai aussi fait partie de l’équipe professorale à l’Institut de droit maritime international de l’OMI, qui opère sur l’île de Malte.

Mon parcours scolaire a été couronné dernièrement par une thèse de doctorat que j’ai soutenue à l’Université de Southampton. Dans ma thèse, j’ai étudié les conséquences des prises de navires marchands par les pirates de mer dans la corne de l’Afrique. L’emprise de la common law sur notre droit maritime au Québec n’a pas été indifférente dans ma décision d’approfondir le droit dans une université anglaise.

Le choix de la filière maritime s’est fait assez tôt pour moi, alors que j’étais encore sur les bancs de la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Cela n’allait pas nécessairement de soi, le droit maritime figurant un peu comme le parent pauvre des programmes d’études des facultés québécoises. Mes racines phéniciennes ont dû jouer un rôle dans mon orientation.

AHQ : Pouvez-vous nous décrire votre travail au sein de l’Université maritime mondiale?

Je suis engagé comme « associate professor », ce qui correspond à peu près au titre de maître de conférences. L’Université maritime mondiale est une institution créée par la communauté internationale, représentée au sein de l’OMI, qui s’occupe surtout de navires, vecteurs du gros de notre commerce mondial. L’Université compte environ 25 enseignants à temps plein et une longue liste d’experts-visiteurs. Notre rôle consiste principalement à former et orienter des cadres provenant de l’administration ou du secteur maritime de pays en voie de développement et ce, dans l’ensemble des matières intéressant l’édiction des normes du transport maritime. Étant juriste, j’enseigne bien entendu surtout le droit maritime, ses techniques et procédés, notamment les conventions internationales, très importantes dans ce domaine. Je suis aussi appelé à encadrer des étudiants au doctorat. La langue d’enseignement est l’anglais, qui est celle du commerce international. Par ailleurs, nous avons une importante masse de projets de recherche portant sur des sujets aussi variés que la protection des eaux et mammifères marins, les techniques de propulsion maritime ou la défense des navires face aux assauts de pirates.

AHQ : Quel a été le défi le plus difficile à relever à Malmö, en Suède?

Il faut dire qu’étant fonctionnaire international, j’ai parfois l’impression d’évoluer dans une bulle quelque peu en marge de la société d’accueil. La Suède est néanmoins un pays ouvert et tolérant. Le niveau de vie y est assez élevé et on y trouve une très bonne structure de services étatiques. Située à l’extrême sud de la Suède, la ville de Malmö offre bien des attraits, notamment au niveau du climat et de la proximité avec d’autres pays, comme le Danemark, relié par pont au-dessus de l’Øresund. Apprendre le suédois est peut-être mon plus grand défi pour le moment.

AHQ : Quel est le plus grand changement que vous avez constaté dans le cadre de votre travail en Suède?

Ayant déjà évolué dans les organismes internationaux, j’ai été bien préparé à ma prise de fonctions à l’Université maritime mondiale. J’ai été néanmoins frappé par le dynamisme de cette institution. Je m’y vois assurer non seulement un rôle d’enseignant, mais aussi de chercheur et de chef de projets. L’Université maritime mondiale dispense aussi des formations hors des frontières de la Suède. Tout au long du trimestre d’hiver/printemps 2014, j’ai ainsi donné un cours par vidéoconférence à une classe d’étudiants à la Faculté de droit de l’Université Saint-Esprit de Kaslik au Liban. L’avenir nous dira combien ce genre de procédé d’enseignement prendra de l’essor.

AHQ : Pouvez-vous nous dire ce qu’il y a de plus étonnant à propos de ce pays?

J’ai été assez étonné par l’emprise des services collectivisés en Suède. La location d’appartements résidentiels se fait sur liste d’attente dans bien des cas. Cela doit certainement remonter à une époque où l’État-providence était encore plus présent. On me dit que la Suède est un vaste pays avec de nombreuses terres encore en friche. Cela ne semble pas bien impressionner un Canadien comme moi, mais j’ai hâte de découvrir les grands espaces de ce pays.

AHQ : Qu’est-ce qui vous manque le plus du Québec?

Le Québec reste en moi comme société d’adoption (après mon pays natal). Je crois donc porter en moi là où je vais des valeurs et des acquis proprement québécois ou canadiens, notamment l’ouverture et le respect des autres. Je me considère par ailleurs juriste québécois à la base. D’où la grande importance que j’attache à maintenir mes liens avec mon ordre professionnel—le Barreau du Québec—et l’association des Avocats Hors Québec (AHQ), que j’ai intégrée dès sa fondation. Ce qui me manque sûrement est de pouvoir m’offrir du bon sirop d’érable autrement qu’en petites boîtes au fond de mes valises.

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