Comment le gouvernement de la Coalition Avenir Québec peut-il réaliser son engagement électoral sur la réduction des seuils d’immigration sans appauvrir le Québec ?

Par Maxime Lapointe (Québec, Canada)

 

Le 1er octobre 2018, la Coalition Avenir Québec (CAQ) a été élue avec un mandat fort à la suite d’une campagne électorale épuisante pour les « vieux partis » et ultime pour les chefs de ceux-ci. Avec un gouvernement majoritaire, notre premier ministre M. Legault a donc les coudées plus que franches pour réaliser ses promesses électorales et ses engagements. La CAQ prône une baisse des seuils d’immigration au Québec et cette position est officiellement intégrée dans les plans du parti depuis le mois de décembre 2018 avec le Plan d’immigration[1] proposé par le ministre de l’immigration monsieur Simon Jolin-Barrette, lequel confirme d’ailleurs une baisse des seuils d’immigration à hauteur de 20% dès 2019.

Dans un contexte politique où le gouvernement fédéral souhaite recevoir près d’un million d’immigrants au pays pour les 3 prochaines années[2] et où le Québec peut recevoir un nombre d’immigrants égal au pourcentage de sa population par rapport à la population totale du Canada[3] qui est de 23%, mon premier constat est simple : le gouvernement de la CAQ va réduire la taille du Québec dans le Canada et ce texte pourrait bien se terminer sur cette conclusion, mais je vais tenter d’apporter des nuances et des suggestions.

À ces données s’ajoute l’inventaire de dossiers en attente tant d’une sélection par le Québec que d’une admission sur le territoire par le Canada, cet inventaire étant approximativement de plus de 17 000 demandes pour le Québec et 56 000 au fédéral à ce jour[4]. Pour plus d’information sur les rôles de chaque pallier gouvernemental en matière d’immigration, je vous invite à lire mon dernier texte publié par AHQ disponible ici.

Bien entendu, la baisse des seuils d’immigration de 20% préconisée par la CAQ allongera autant les délais de traitement du Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (« MIDI ») que ceux d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC ») pour les milliers de demandes en cours d’analyse. Tout effort du MIDI pour améliorer sa sélection de nouveaux ressortissants étrangers sera donc court-circuité.

Il faut savoir que le MIDI a lancé en septembre une nouvelle plateforme nommée « ARRIMA » avec un système de déclaration d’intérêt qui permettra au Québec de choisir ses immigrants selon des critères plus précis et tangibles que l’âge, le niveau de scolarité et le domaine de formation, entre autres.

En effet, le MIDI travaille depuis des mois, pour ne pas dire des années, sur ce nouveau système, et ce, tant au niveau législatif afin d’y inclure cette vision de la sélection des immigrants qu’au niveau informatique, une des faiblesses connues de la fonction publique québécoise[5].

Nous avons ici un bel exemple d’une volonté politique qui s’impose aux opérations d’un ministère et où ce dernier doit plier. Alors, que faire pour que les demandes en cours de traitement puissent être finalisées et pour que les nouveaux outils de sélection du Québec puissent être opérationnels, outre que de s’armer de patience ?

À mon avis, le gouvernement doit non seulement exclure les demandes sélectionnées et en attente de résidence permanente de la baisse des seuils d’immigration, mais également rembourser les frais de traitement et diriger les demandes en attente d’une sélection vers la plateforme ARRIMA afin que cette dernière puisse dès que possible être testée dans la réalité.

Cette position, défendue par le sous-comité Immigration d’AHQ, essuierait bien sûr des critiques, surtout de la part de candidats déçus et de représentants (avocats et consultants en immigration par exemple) qui ont chargé des honoraires aux candidats dont les demandes seraient fermées.

Malgré tout, il m’apparait plus noble d’agir de cette façon que de changer le pointage à la grille de sélection en cours de route et de refuser des milliers de demandes déjà soumises et dont les frais de traitement ont été encaissés (798 $ + 171 $ par membre de la famille[6]) pour réduire l’inventaire des demandes comme l’a fait le MIDI en 2017, ce qui cause de toute façon de la grogne. Un recours collectif de la part de ressortissants étrangers floués a d’ailleurs été déposé contre le MIDI[7].

Le MIDI a la fâcheuse habitude de recevoir beaucoup plus de demandes que sa capacité de sélection et d’admission, ce qui cause également des refus abondants pour les demandes déposées dans la catégorie des gens d’affaires. Seulement 23% des demandes ont été approuvées dans les 5 dernières années dans le programme « ENTREPRENEUR[8] » et 56% pour le programme « INVESTISSEUR[9] ». Dans ces cas, ce sont les opérations du MIDI qui ont mal géré la demande pour leurs programmes sans bien tenir compte des limites imposées par la volonté politique du gouvernement en place sur la sélection et les cibles d’admission.

Soyez-en sûr, AHQ fera tout en son pouvoir pour s’immiscer dans la joute politique en ce qui concerne non seulement la sélection et l’admission des immigrants au Québec, mais également la rétention des immigrants sur le territoire. Au-delà du fait de traîner des demandes pendant des années et d’encaisser des frais de traitement élevés (15 496$ par demande dans le programme INVESTISSEUR[10]), encore faut-il que nos immigrants restent au Québec une fois ce processus terminé[11].

Je suis donc d’avis que la baisse des seuils d’immigration préconisée par la CAQ doit se faire en gardant à l’esprit les larges inventaires de demandes tant au Québec qu’au fédéral et sans pour autant miner les efforts déployés par le MIDI dans les dernières années pour améliorer ses modes de sélection dans la catégorie de l’immigration économique.  Vous trouverez ci-joint la position d’AHQ envoyée au MIDI en décembre 2018 concernant la baisse des seuils d’immigration.

 

 

[1] Plan d’immigration du Québec pour l’année 2019, Ministère de l’immigration, de la diversité et de l’inclusion du Québec, décembre 2018, [en ligne] http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/planification/Plan-immigration-2019.pdf (consulté le 6 janvier 2019).

[2] Avis – Renseignements supplémentaires – Plan des niveaux d’immigration pour 2018-2020, Gouvernement du Canada, 1 novembre 2017, [en ligne] https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/nouvelles/avis/renseigements-supplementaires-niveaux-immigration-2018.html (consulté le 6 janvier 2019).

[3] Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains, 5 février 1991, art. 7, [en ligne] http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/divers/Accord-canada-quebec-immigration-francais.pdf (consulté le 6 janvier 2019).

[4] Arrêté numéro AM 2018-001 du ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion en date du 19 mars 2018, (2018) 13 G.O. II, 2021, [en ligne] http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=1&file=68213.pdf (consulté le 6 janvier 2019).

[5] Voir Camille Garnier, Nouveaux ratés pour Immigration Québec, Journal de Montréal, [en ligne] https://www.journaldemontreal.com/2018/09/18/nouveaux-rates-pour-immigration-quebec (dernière modification le 18 septembre 2018); Camille Garnier, Énorme raté informatique au ministère de l’Immigration, TVA Nouvelles, [en ligne] https://www.tvanouvelles.ca/2018/04/03/enorme-rate-informatique-au-ministere-de-limmigration-1(dernière modification le 3 avril 2018).

[6] Frais, modes de paiement et délais de traitement, Ministère de l’immigration, de la diversité et de l’inclusion du Québec, [en ligne] https://www.immigration-quebec.gouv.qc.ca/fr/immigrer-installer/travailleurs-temporaires/demeurer-quebec/demande-csq/travailleurs-quebec/frais-paiement-delais.html (dernière modification le 10 décembre 2018).

[7] Recours collectif contre le Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Média D, dernière modification le 28 février 2018, [en ligne] https://mediad.ca/2018/02/28/recours-collectif-contre-le-ministere-de-limmigration-de-la-diversite-et-de-linclusion/ (consulté le 6 janvier 2019).

[8] Demande d’accès à des documents : 14566, Ministère de l’immigration, de la diversité et de l’inclusion du Québec, 31 juillet 2018, [en ligne] http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/ministere/acces-information/14566_1.pdf (consulté le 6 janvier 2019).

[9] Demande d’accès à des documents : 13862, Ministère de l’immigration, de la diversité et de l’inclusion du Québec, 28 février 2018, [en ligne] http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/ministere/acces-information/13862.pdf (consulté le 6 janvier 2019).

[10] Droits exigibles et modes de paiement – Investisseurs, Ministère de l’immigration, de la diversité et de l’inclusion du Québec, [en ligne] https://www.immigration-quebec.gouv.qc.ca/fr/immigrer-installer/gens-affaires/demande-immigration/demande-officielle/frais.html (dernière modification le 10 décembre 2018).

[11] Taux de rétention de 74% pour les travailleurs qualifiés et 22% pour les gens d’affaires sélectionnés entre 2006 et 2015 : Présence et portraits régionaux des personnes immigrantes admises au Québec de 2006 à 2015, Ministère de l’immigration, de la diversité et de l’inclusion du Québec, novembre 2017, [en ligne] http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/PUB_Presence2017_admisQc.pdf (consulté le 6 janvier 2019).

 

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