La responsabilité pénale internationale de l’enfant soldat

Par Anthony Breton, éditeur en chef

 

Le 18 septembre 2018, Dominic Ongwen, ancien membre notoire de l’Armée de Résistance du Seigneur (ARS) et accusé devant la Cour pénale internationale de 70 charges pour commission de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Uganda entre juillet 2002 et décembre 2004, esquisse sa défense lors de son procès[1]. Malgré son âge au-dessus de la quarantaine, l’accusé est présenté aux juges comme un enfant soldat qui, victime des pratiques barbares de l’ARS[2], n’aurait jamais « eu le droit de devenir adulte »[3]. Aux dires de la défense, M. Ongwen est un cas « parfaitement unique, puisqu’il n’était qu’un enfant lorsqu’il a été enlevé, brutalisé et lorsqu’on l’a façonné dans la brousse en lui enlevant tout libre arbitre »[4].

Bien que le fait d’être ou d’avoir été un enfant soldat ne constitue pas une défense valide en droit pénal international, il est vrai que cela soulève des enjeux moraux, politiques et juridiques généralement à l’avantage du défendant devant la justice internationale.

Tout d’abord, le droit international n’offre aucune définition arrêtée du terme « enfant soldat ». Cependant, une lecture conjointe d’instruments de droit international humanitaire, de la Convention relative aux droits de l’enfant et des articles 8(2)b)(xxvi) et 8(2)e)(vii) du Statut de Rome portant sur le crime de conscription et d’utilisation d’enfants révèle que l’enfant âgé de moins de 15 ans est protégé du risque de recrutement (volontaire ou non) et de « participation active » dans les conflits armés.[5]

Malgré cette protection, les enfants demeurent encore aujourd’hui les protagonistes de conflits armés brutaux et sont parfois même les auteurs des pires atrocités[6]. Toutefois, les circonstances entourant les perpétrations de graves violations du droit international humanitaire par le mineur[7] varient énormément et empêchent de classifier catégoriquement l’enfant soldat comme un agresseur, ou encore comme une victime.

La réalité oscille entre deux archétypes d’enfants soldats. Certains enfants s’affairent lucidement et parfois même en situation d’autorité à commettre des monstruosités incluant des violences sexuelles à l’égard des populations civiles[8]. Beaucoup d’autres, cependant, « commit crimes because they are forced to do so, because they are brainwashed and manipulated by adults, because the frequent use of drugs and alcohol has impaired their senses, and/or because extreme fear of their commanders pushed them to do these things. »[9]

Au vu de la réalité complexe des enfants soldats et dans le contexte institutionnel de la justice internationale où les ressources financières sont limitées et où les procureurs sont mandatés de poursuivre en justice ceux qui sont considérés comme « les plus responsables »[10], les efforts internationaux sont donc naturellement déployés vers la poursuite criminelle de ceux qui perpétuent le crime de conscription et d’utilisation d’enfants. M. Ongwen en est d’ailleurs formellement accusé[11].

Au surplus, il est incertain si, au moment de la commission de ses gestes, l’enfant avait les capacités cognitives et morales nécessaires pour apprécier suffisamment les conséquences de ses actes. Cette capacité s’avère essentielle pour prouver que l’enfant cumulait un état d’esprit précis (élément psychologique) à sa conduite reprochée (élément matériel) et ultimement entraîner une déclaration de sa culpabilité criminelle et sa punition.

En droit pénal, cet enjeu se traduit par l’âge minimal de responsabilité criminelle en dessous duquel l’enfant est présumé doli incapax, ou encore incapable de faire le mal. Il n’existe toujours pas d’âge fixe en droit international[12]. Parmi l’ensemble des tribunaux internationaux et mixtes de justice internationale, on recense une absence d’âge criminel[13] ou un âge minimal établi à 12[14], 14[15] ou encore 15 ans[16].  La Cour pénale internationale rejette toute juridiction sur les crimes commis alors que la personne avait moins de 18 ans au moment de leur commission[17].

En théorie, l’absence d’âge minimal signifie que l’appréciation des capacités cognitives et morales du mineur au moment de la commission du crime international est laissée à la discrétion du tribunal sur des balises telles la « maturité affective, psychologique et intellectuelle »[18] de ce dernier. En plaidant ne jamais avoir « eu droit de devenir adulte », M. Ongwen semble justement affirmer avoir été privé de cette « maturité criminelle ».

En revanche, le Comité sur les droits de l’enfant se positionne en faveur de l’emploi de critères objectifs dans la détermination du seuil de maturité pénale et suggère comme acceptable un âge plancher de 12 ans sur le plan international[19].

Dans ce contexte, si la justice pénale internationale a effectivement tendance à victimiser les enfants soldats pour plusieurs raisons, il est difficile de croire qu’elle achètera la thèse du « soldat enfantin » de M. Ongwen.

Au moment où l’auteur écrit ces lignes, le procès est toujours à l’étape de la présentation de la défense. Considérant le fait que l’affaire inclue un nombre sans précédent de charges criminelles (70) sur une période de temps substantielle (18 mois), les chances qu’un verdict soit rendu dans un futur proche sont pour le moins faibles.

 

[1] M. Ongwen présente 5 moyens de défense : (1) les charges retenues sont des charges contre l’ARS en tant qu’institution; (2) il n’a pas participé personnellement aux crimes qui lui sont reprochés; (3) il n’avait pas la responsabilité comme commandant et n’a pas joué de rôle dans la planification et l’exécution des attaques reprochées; (4) maladie mentale ou troubles mentaux; et (5) coercition. Cour pénale internationale, Transcriptions, Doc no. ICC-02/04-01/15-T-179-Red-FRA WT 18-09-2018 1/93 GB T, 18 septembre 2018, p. 40, lignes 15-28.

[2] De 1986 à 2004, l’ARS aurait enlevé pas moins de 20 000 enfants pour, entre autres, garnir ses rangs militaires dans son combat contre les forces gouvernementales au nord de l’Ouganda. La proportion d’enfants au sein des membres du groupe armé aurait atteint plus de 85% en 2004: Manisuli Ssenyonjo, ‘Accountability of Non-State Actors in Uganda for War Crimes and Human Rights Violations: Between Amnesty and the International Criminal Court’, (2005) 10 Journal of Conflict & Security Law 3, 405, 407; 411-2.

[3] Cour pénale internationale, préc. note 1, p.57, lignes 14-5.

[4] Aux dires de la défense, l’accusé aurait été enlevé par l’ARS à l’âge de 9 ans : id. p. 6, lignes 15-9.

[5] Certains développements laissent toutefois présager une transition à la hausse de l’âge légal à 18 ans. Voir Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), Genève, 8 juin 1977, article 77(2); Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), Genève, 6 juin 1977, article 4(3)c); Convention relative aux droits de l’enfant, New York, 20 novembre 1989, article 38(2); et Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Rome, 17 juillet 1998, articles 8(2)b)(xxvi) et 8(2)e)(vii).

[6] Amnesty International, Child Soldiers: Victims or Perpetrators? (Amnesty International 2000), 1.

[7] J’utilise le terme mineur dans le sens de l’article 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant, préc. note 5 qui établit à 18 ans l’âge de maturité par défaut.

[8] Tim Wright, ‘When Children Commit Atrocities in War’, (2010) 22 Global Change, Peace & Security 3, 315, 315-316.

[9] Leonie Steinl, Child Soldiers as Agents of War and Peace: A Restorative Transitional Justice Approach Accountability for Crimes Under International Law (Springer 2017) 11.

[10] Article 1 Statut de Rome, préc. note 5.

[11] Voir les 69e et 70e chefs d’accusation à l’égard de Dominic Ongwen dans l’Annexe A « Document Containing the Charges » du document Prosecution’s submission of the document containing the charges, the pre-confirmation brief, and the list of evidence, Affaire n° ICC-02/04-01/15, Document 21/12/18.

[12] Wright, préc. note 8, 318; Office of the Special Representative for Children in Armed Conflict, « Working Paper Number 3: Children and Justice During and in the Aftermath of Armed Conflict », septembre 2011, 34.

[13] Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie; Tribunal pénal international pour le Rwanda; Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens; Steinl, préc. note 9, 153 et 161.

[14] Chambres spéciales des tribunaux de district de Dili (voir l’article 45 du règlement de l’Administration transitoire des Nations unies pour le Timor oriental 2000/30 « Transitional rules of criminal procedure »); Steinl, préc. note 9, 159.

[15] War Crimes Chamber in the Court of Bosnia and Herzegovina; Steinl, préc. note 9, 160-1.

[16] Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, 16 janvier 2002, article 7(1).

[17] Article 26 du Statut de Rome, préc. note 5.

[18] AGNU Rés. 40/33 (29 novembre 1985), Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), UN Doc. A/RES/40/33; voir Matthew Happold, Child Soldiers in International Law (Manchester University Press) 144-6.

[19] Comité des droits de l’enfant, Observation générale no 10 (2007), UN Doc. CRC/C/GC/10, 30-32.

 

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