Accélérer les procédures devant la Cour pénale internationale : l’admission de témoignages «préalablement enregistrés»

Par Me William St-Michel (La Haye, Pays-Bas)

Le procès de Bosco Ntaganda, ancien chef d’état-major adjoint des Forces patriotiques pour la Libération du Congo, s’est ouvert devant la Cour pénale internationale le 2 septembre dernier avec la présentation de la preuve à charge par le Bureau du Procureur. Après presqu’une année de procès, alors que plus de 80 témoins seront appelés à la barre par le Bureau du Procureur, seulement une trentaine de témoins ont comparu.

Le rythme auquel se déroule le procès de Bosco Ntaganda ne se démarque pas de celui d’autres procès qui se sont tenus à La Haye : la justice pénale internationale suit, de façon générale, un cours sinueux et lent. Une question taraude constamment les parties impliquées : comment améliorer l’efficacité des procédures sans compromettre l’équité du procès ?

C’est dans cette optique qu’en 2013, les États parties au Statut de Rome ont amendé la règle 68 du Règlement de procédure et de preuve de la Cour de façon à permettre l’admission de témoignages « préalablement enregistrés », que ce soit la déposition d’un individu qui a témoigné dans une affaire connexe ou encore la déclaration écrite fournie par le témoin à l’une des parties. Cette admission permet de raccourcir substantiellement le temps consacré à l’interrogatoire principal du témoin, ce qui devrait normalement permettre d’accélérer la procédure. Une disposition similaire existe dans les règlements de procédure et de preuve des tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et du Rwanda.

Les bénéfices de l’admission d’un témoignage « préalablement enregistré » sur l’efficacité de la conduite des procédures sont indéniables. Cependant, dans la mesure où le témoignage « préalablement enregistré » est admis dans son entièreté, certaines balises doivent exister afin de préserver l’équité de la procédure. Le contenu du témoignage « préalablement enregistré » doit pouvoir être en effet soumis à l’épreuve du contre-interrogatoire. La personne dont on cherche à faire admettre le témoignage « préalablement enregistré » doit donc pouvoir être présente en cour pour être questionnée par la partie adverse sur sa déposition, de même que sur toutes autres questions portant sur sa crédibilité.

Dans le cadre du procès de Bosco Ntaganda, la Chambre de première instance a rendu un certain nombre de décisions balisant le recours à l’admission de témoignages « préalablement enregistrés ». Les faits du dossier de M. Ntaganda recoupent ceux de l’affaire de Thomas Lubanga, le premier inculpé devant la Cour pénale internationale. Dans ce dernier dossier, toutefois, le nombre de charges était moindre.

Dans ces circonstances, la Chambre de première instance a estimé que l’admission du témoignage d’un témoin commun aux dossiers Lubanga et Ntaganda dans cette dernière affaire n’était pas indiquée puisque le témoignage dans l’affaire Lubanga couvrait moins de sujets que ceux sur lesquels le témoin doit déposer dans l’affaire Ntaganda. De plus, en la présente affaire, (i) la durée du contre-interrogatoire ne sera pas substantiellement réduite car le Bureau du Procureur aura à interroger le témoin sur tous les sujets qu’il n’a pas abordés dans l’affaire Lubanga; et (ii) cela imposera à la défense de préparer un double contre-interrogatoire, à la fois sur le témoignage préalable et sur le nouveau ‘témoignage’.

En conclusion, le défi d’accélérer les procédures pénales devant les tribunaux pénaux internationaux doit tenir compte de l’équité de la procédure, et c’est le difficile exercice auquel sont constamment confrontées toutes les parties au procès pénal, qui doivent elles-mêmes agir de façon à contribuer à cette idée d’efficacité judiciaire.

Me St-Michel est Assistant juridique au sein de l’équipe de défense de Bosco Ntaganda devant la Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas.

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