Entrevue avec Me Alexandre Genest, Conseiller juridique (Legal Affairs Officer) à l’Organisation mondiale du commerce à Genève

Me Genest a généreusement accepté de nous parler de son parcours hautement varié qui a touché toutes les sphères du droit commercial international.

Courte biographie

Me Genest a effectué ses études en droit à l’Université de Montréal avant d’obtenir une maîtrise en affaires publiques de l’Université Paris Dauphine ainsi qu’un diplôme en administration publique de l’École nationale d’administration en France. En 2017, il a obtenu un double doctorat en droit des universités d’Ottawa et de Leiden.

Après avoir consacré les premières années de sa carrière à la pratique privée, il a œuvré à titre de conseiller juridique auprès de la Direction générale du droit commercial du Canada. Par la suite il a travaillé dans le milieu académique, puis à titre de clerc auprès du Juge Peter Tomka à la Cour internationale de justice. Il a ensuite passé les deux années suivantes à œuvrer comme avocat à Londres au sein du cabinet Volterra Fietta spécialisé en droit international public. Depuis près de 3 ans, il travaille comme conseiller juridique au sein de l’Organisation mondiale du commerce à Genève.

Questions d’entrevue

  1. Avant de rejoindre l’OMC, vous avez travaillé en pratique privée, au sein de la Direction générale du droit commercial international au gouvernement du Canada ainsi qu’en tant que professeur, quel est le fil conducteur de votre parcours professionnel jusqu’à présent ?

« Deux fils conducteurs m’ont suivi tout au long de ma carrière: le règlement des différends ainsi que le droit public, au niveau national en début de carrière et par la suite au niveau international.

J’ai veillé à acquérir un large éventail de connaissances théoriques et d’expérience pratique.

De plus, j’ai également voulu connaître de l’intérieur tant le milieu académique que les différents environnements dans lesquels les avocats peuvent exercer leur profession.

Le tout dans le but de développer une approche versatile et généraliste qui ouvre le plus grand nombre de portes possible. »

  1. Lorsque vous travailliez à la Direction générale du droit commercial international, vous avez entre autres contribué aux négociations pour l’Accord économique et commercial global. Pourriez-vous nous parler de cette expérience ?

« Cette expérience m’a mené à conclure qu’un(e) conseiller(ère) juridique joue un rôle de soutien et d’assistance lors de la négociation d’un accord international. Le(la) conseiller(ère) juridique n’est pas dans le siège du conducteur: les conseillers(ères) en politique étrangère mènent les négociations et discutent de la substance. Le(la) conseiller(ère) juridique agit davantage comme co-pilote durant un rallye automobile. Le(la) conseiller(ère) juridique aide également à coucher par écrit les ententes conclues durant des discussions verbales ou des échanges par courriels et à affiner la portée et l’articulation détaillée de tels engagements. »

  1. Vous avez obtenu un PhD en droit des universités d’Ottawa et de Leiden en 2018, votre thèse doctorale porte sur l’interdiction des exigences de performance en droit international des investissements, quelles sont les principales conclusions de votre étude ?

« Les interdictions de prescriptions de résultats visent à empêcher l’adoption de mesures à caractère principalement économique mais également avec une portée politique et sociale fréquemment d’importance pour le pays qui adopte pareilles mesures. À titre d’exemples, les prescriptions de résultats incluent des mesures visant à imposer l’obligation: soit d’exporter une quantité ou un pourcentage donné de produits ou de services; soit d’atteindre un niveau ou un pourcentage donné de contenu national; soit d’acheter, utiliser ou privilégier les produits ou les services produits ou fournis sur le territoire de l’État qui impose pareilles prescriptions.

Ces mesures et leurs interdictions sont méconnues, notamment dans les communautés juridiques spécialisées en droit international.

La manière dont ces interdictions sont rédigées implique souvent un niveau de complexité élevé. Certaines interdictions de prescriptions de résultats font par ailleurs appel à des mécanismes d’exclusion afin de limiter leur portée. Ces mécanismes d’exclusion sont eux-mêmes difficiles à interpréter et à appliquer lorsqu’il s’agit de régler un différend précis.

Les interdictions de prescriptions de résultats trahissent une volonté de libéraliser les relations économiques internationales qui a de moins en moins la cote parmi un nombre croissant d’États. De nombreux États ont récemment exprimé la volonté de rapatrier la production de biens et services au sein de leurs territoires. Toutefois, les engagements juridiquement contraignants qui interdisent les prescriptions de résultats demeurent inchangés dans un grand nombre d’accords internationaux. Cette divergence entre l’appétit des États pour l’adoption de prescriptions de résultats, qui visent à donner priorité à l’économie locale et revêtent un caractère protectionniste, et leurs obligations de ne pas adopter pareilles mesures pourrait générer davantage de différends à caractère international dans un avenir rapproché. »

  1. Pourriez-vous nous parler de votre rôle au sein de l’OMC et si ce dernier a évolué avec l’accroissement du nombre d’accords de libre-échange négociés et conclus dernièrement ?

« Ma fonction principale consiste à assister le(la) président(e) de l’Organe de règlement des différends (ORD) dans la planification et la conduite des réunions de l’ORD. Mes responsabilités surgissent tant en amont qu’en aval des réunions de l’ORD. L’ORD est l’organe principal au sein duquel convergent les préoccupations des Membres concernant l’institution de procédures de consultations et de règlements des différends entre Membres, l’adoption et la discussion de rapports de groupes spéciaux et de l’Organe d’appel, ainsi que la surveillance de la mise en œuvre des recommandations et des décisions de l’ORD.

Mon rôle inclut également la responsabilité de répondre aux questions des Membres concernant les réunions de l’ORD ainsi que les aspects juridiques et procéduraux liés au règlement des différends qui relèvent de l’ORD.

J’œuvre également à titre de Secrétaire de groupe spécial dans le différend entre le Mexique et le Costa Rica concernant les mesures en lien avec l’importation d’avocats frais et qui se déroule en espagnol (DS524).

Il existe un Comité des accords commerciaux régionaux (ACR) au sein du Secrétariat de l’OMC qui fut créé afin d’améliorer la transparence entourant les ACR et de comprendre leurs effets sur le système multilatéral. Les Membres se sont engagés à notifier leurs ACR à l’OMC. Ces accords sont ensuite examinés par les Membres. Toutefois, les ACR ne font pas partie du régime juridique sujet au système de règlement des différends de l’OMC. Par conséquent, la conclusion récente d’ACR additionnels par certains Membres de l’OMC n’a pas eu d’impact sur mes responsabilités. »

  1. Quels sont vos conseils pour celles et ceux qui désirent se lancer dans une carrière similaire à la vôtre ?

« Je conseillerais de donner priorité à l’assermentation à titre d’avocat(e) auprès d’un Barreau, peu importe lequel. La formation auprès d’un(e) maître de stage et la pratique du droit en début de carrière offrent des leçons inestimables qui vous accompagneront toute votre vie. De plus, elle vous ouvrira les portes du marché de l’emploi des services juridiques au sein d’une juridiction donnée et même au-delà. Cette assermentation vous permettra également d’être admissible à exercer des fonctions réservées aux avocat(e)s ou pour lesquelles est imposée une exigence d’assermentation à titre d’avocat(e). La bifurcation vers le droit international peut intervenir ultérieurement. Et si, comme c’est souvent le cas, les opportunités en droit international s’amenuisent ou disparaissent, le(la) candidat(e) aura amplement d’opportunités professionnelles alternatives. Il importe de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier! »

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