Entrevue avec Me Marc Frédéric Porret, Coordonnateur Anti-terrorisme / Technologies de l’information et de la communication à la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme des Nations unies

Me Marc Frédéric Porret, CT/ICT Coordinator – Coordonnateur Anti-terrorisme / Technologies de l’information et de la communication, a généreusement accepté de s’entretenir avec AHQ au sujet de la nouvelle frontière de la lutte contre le terrorisme: les technologies de l’information. 

Courte biographie

Me Porret a effectué ses études en droit à l’Université McGill et détient un diplôme d’études supérieures en droit international de l’Institut de Hautes études internationales et du développement à Genève.

Me Porret est le responsable des questions liées à l’utilisation des TIC par les terroristes au sein de la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme de l’ONU. Il a lancé l’initiative Tech Against Terrorism qui rassemble des membres du Global Internet Forum to Counter-Terrorism (GIFCT, Facebook, Google, Microsoft, Twitter), ainsi que des petites entreprises des TIC, des gouvernements, de la société civile et des universités pour contrer l’utilisation de nouvelles technologies par des groupes terroristes. Il dirige également avec l’ONUDC et l’IAP (International Association of Prosecutors) une initiative visant à améliorer l’accès juridique aux données numériques par les enquêteurs, les procureurs et les autorités centrales ainsi qu’une initiative sur la protection des données et lutte contre le terrorisme. Me Porret a traité de différents aspects du terrorisme à l’ONU depuis 2009, à travers les structures juridiques, politiques, sociales et de réforme des structures gouvernementales, évaluant les réponses des pays à la menace dans le monde entier, avec un accent particulier sur l’Afrique.

Questions d’entrevue

  1. Vous êtes responsable des questions liées à l’utilisation des TIC par les terroristes au sein de la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme de l’ONU, pourriez-vous nous parler de votre pratique dans le domaine ?

« J’ai touché à toutes les questions visant l’extrémisme violent d’une manière ou d’une autre. J’ai travaillé notamment sur les enjeux liés au financement des groupes terroristes, l’entraide judiciaire, le contrôle des frontières et la criminalisation des infractions provenant d’instruments internationaux. Depuis quelques années, je me préoccupe plus particulièrement aux questions liées à l’utilisation des technologies de l’information par les groupes extrémistes.

J’aime la variété des sujets sur lesquels je travaille et découvrir des domaines sur lesquels je n’ai pas eu de formation théorique – un praticien dans ce domaine est multidisciplinaire étant donné que la pratique est axée sur, à la fois, des aspects juridiques, de science politique et de sécurité nationale. »[1]

  1. Au sein de votre poste à l’ONU, à la croisée de la lutte anti-terroriste et des technologies de l’information et de la communication, vous avez lancé l’initiative Tech Against Terrorism, pourriez-vous nous parler de cette dernière ?

« Quand j’ai commencé à travailler sur ces questions en 2014, mes partenaires étaient surtout les grosses plateformes. Les conclusions que nous avons tirées des premières discussions sont qu’il s’agit d’un écosystème – pour donner un exemple Twitter est utilisé pour faire la promo d’un URL qui amène l’utilisateur à un fichier Dropbox où l’on peut télécharger du matériel qui est ensuite téléversé sur YouTube. Avoir une approche individuelle par entreprise ne fonctionne pas, il faut une action coopérative et concertée entre elles.

La raison d’être du projet est que les grosses entreprises ont les moyens d’embaucher d’anciens procureurs, policiers ou professionnels du renseignement pour mettre en œuvre leurs propres politiques, mais les petites compagnies n’ont pas ces mêmes ressources financières. L’objectif est d’aider les petites plateformes à mettre en place des politiques internes et donner un appui technologique à certaines de ces petites plateformes. »

  1. L’intensification des attaques terroristes menées par des groupes d’extrême droite violents ces dernières années ont-elles modifié votre façon de travailler ? Comment entrevoyez-vous l’avenir à cet égard ?

« Dans les trois dernières années, ce phénomène auparavant vu comme domestique est devenu une mouvance internationale. Bien que le mouvement ne soit pas forcément organisé comme Daech ou Al-Qaeda, il y a une claire mouvance idéologique transnationale d’extrême droite violente et terroriste.

Le premier phénomène qui a facilité l’évolution du mouvement est la montée des réseaux sociaux, ce qui a permis à tout un chacun de créer son propre contenu et de le diffuser. Le moment clé a été 2014 avec la montée de l’État islamique et le phénomène des combattants terroristes étrangers. Au début, il y a surtout eu un intérêt par rapport à YouTube, Facebook et Twitter – des plateformes qui permettaient de diffuser un message à un grand auditoire.

Ces grandes entreprises ont alors commencé à investir massivement dans l’embauche de personnel pour faire la modération des contenus puis dans l’intelligence artificielle pour détecter automatiquement du contenu. Cela a permis de réduire les coûts de main d’œuvre et de gérer la quantité phénoménale de contenu généré. Toutefois, le 1er amendement de la Constitution américaine a une vision large de la liberté d’expression. Tant qu’il n’y a pas d’incitation expresse à la violence, la liberté d’expression est protégée. D’autant plus que l’article 230 de la Communication Decency Act ne considère pas les réseaux sociaux comme des éditeurs et les exemptent pour le contenu que l’on retrouve sur leurs plateformes. Par ailleurs, les gouvernements ont jusqu’à présent été très hands-off sur la gestion des réseaux sociaux, mais il pourrait y avoir du développement là-dessus, notamment de la part des européens qui poussent beaucoup à ce niveau.

Un enjeu connexe à la modération du contenu extrémiste sur internet est celui du deplatforming (la fermeture de comptes). Si l’on rejette certaines personnes de plateformes majeures, on court le risque de les voir réapparaître sur des plateformes moins surveillées, tel que Parler. De même, lorsque Parler a été mis hors ligne par Apple et Google, il est réapparu sur un serveur hors des États-Unis. Les opérateurs de ce type de plateformes ont des politiques très libérales sur la modération du contenu et cela pose problème.

Le terrorisme d’extrême droite est maintenant reconnu comme la première menace à la sécurité nationale par plusieurs États occidentaux. En Amérique du nord, les incidents terroristes sont majoritairement commis par l’extrême droite depuis 2002. Similairement, il y a une tendance claire à la hausse en Europe, au Royaume-Uni et en Allemagne par-exemple. C’est une question qui figure en haut de l’agenda politique. Jusqu’à maintenant, c’était davantage une question nationale, mais il y a de plus en plus de concertation internationale, notamment au niveau de l’Union européenne. Or, peu d’organisations sont officiellement désignées comme étant terroristes par les États. Aux États-Unis par exemple, seules les organisations terroristes internationales peuvent être désignées comme terroristes. Il y a un besoin clair à ce qu’on ait davantage de discussions sur ces questions dans les années à venir. »

  1. Vous êtes l’un des co-fondateurs et premier Président d’AHQ, considérez-vous qu’il est aujourd’hui plus simple de travailler à l’international en étant avocat qu’il y a plus de dix ans, lorsque vous avez fondé l’organisation ? La mobilité professionnelle dans le domaine juridique est souvent décrite comme difficile, considérez-vous que c’est vrai ?

« La mobilité dans le milieu juridique n’est pas simple.

Depuis les années 1990, on a vu beaucoup de nouvelles perspectives qui se sont ouvertes. Il y a eu la création de l’OMC, le développement du droit pénal international et des droits de la personne. Il y a donc aujourd’hui beaucoup plus d’opportunités dans le domaine qu’il y a trente ans.

En même temps, ce n’est pas facile, quel que soit le domaine. La compétition fait en sorte qu’il est difficile de trouver un poste dans une organisation internationale. La crise du financement des organisations internationales fait également en sorte qu’il y a des gels d’embauche et des postes restent non comblés, faute d’argent.

Dans le domaine du droit privé, de plus en plus d’accords signés entre les provinces ou avec les barreaux européens permettent une meilleure mobilité.

En fin de compte, il faut être persistent, poursuivre des études supérieures spécialisées dans le domaine d’intérêt et ne pas oublier son objectif en début de carrière. En gros, il n’y a pas de voie tracée et claire, on doit faire son propre chemin. »

[1] « Les opinions exprimées ici sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Organisation des Nations Unies. »

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