Entrevue avec Me Denise Otis, Cheffe de bureau et conseillère juridique au HCR à Montréal

Me Denise Otis, Cheffe de bureau et conseillère juridique au HCR à Montréal, a chaleureusement accepté de répondre aux questions d’AHQ sur son parcours qui se démarque par son grand engagement envers la cause des réfugiés et de la migration.

Courte biographie

Denise Otis, membre du Barreau du Québec depuis 1982, est cheffe de bureau pour le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), basée à Montréal. Avant de devenir une employée du HCR en mai 2004, Me Otis s’est consacrée à la pratique privée principalement dans le domaine du droit des réfugiés. Elle est appelée à soutenir la Représentation du HCR à Ottawa à l’égard du droit, des politiques et des pratiques canadiennes qui affectent les demandeurs d’asile et les réfugiés. Elle représente aussi le HCR dans ses partenariats avec les autorités gouvernementales provinciales, municipales et la société civile du Québec. Elle est partie à deux reprises en mission humanitaire d’urgence avec le HCR, soit au Sri Lanka et en Égypte.

Questions d’entrevue

  1. Avant de rejoindre le HCR, vous avez principalement consacré votre pratique au droit des réfugiés. Diriez-vous que le fil conducteur de votre parcours professionnel est votre passion pour ce domaine de droit ou les personnes auxquelles vous venez en aide ?

« C’est plus qu’une passion. Cette motivation est largement née de mes rencontres avec les gens. Ils m’ont fait découvrir des mondes que je ne connaissais pas et fait réfléchir sur ma propre vie. C’est un intérêt qui s’est développé et qui se continue encore.  Le fait d’accompagner les gens dans un espace-temps m’a également toujours passionnée, de pouvoir inventer des façons de faire et de m’adapter aux cultures sont des points majeurs de cette pratique. »

  1. Quels ont été vos plus grands défis dans ce domaine de droit, que ce soit en pratique privée ou au sein du HCR ?

« En pratique privée, j’ai notamment dû m’adapter aux changements amenés par les différentes crises migratoires.

Un défi partagé par tous les avocats consiste aussi en le fait d’être à jour avec le droit en constante évolution, de s’assurer qu’on est à jour, que ce soit au niveau du développement jurisprudentiel ou au niveau procédural devant les tribunaux.

Ayant plaidé pendant de nombreuses années devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), j’ai également dû m’ajuster vis-à-vis certains défis concernant les commissaires. Il fallait pouvoir convaincre et sensibiliser le commissaire à la situation du demandeur.

C’est un type de droit particulier parce que les témoignages peuvent être dramatiques et bouleversants. Mon défi majeur était de garder une certaine distance émotionnelle de la situation tout en gardant mon empathie, le tout afin de représenter au mieux les intérêts de la personne. Ce n’est pas toujours chose facile : les expériences traumatiques des demandeurs vont aussi affecter en quelque sorte les personnes qui agissent dans ce milieu puisqu’ils reçoivent constamment ces histoires. »

  1. Pourriez-vous nous parler de vos deux missions humanitaires à l’étranger ? Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ces mandats ?

« Je suis arrivée au HCR en 2004 et deux ans plus tard, je voulais vraiment partir en mission d’urgence, je trouvais important d’aller voir l’action du HCR sur le terrain. J’ai d’abord suivi une formation de deux semaines en Suède, ce qui me permettait d’être prête à toute éventualité dans un contexte d’urgence et d’accéder à une liste d’agents formés.

J’ai été envoyée au Sri Lanka pour ma première mission humanitaire plus tard cette même année. Il s’agissait de la fin de la guerre civile qui opposait les Tigres de libération de l’Ilâm tamoul (LTTE) et le gouvernement et qui sévissait particulièrement dans le nord du pays. C’était une mission d’urgence courte et je suis arrivée dans une situation de chaos. Les personnes étaient déplacées à l’interne et étaient mises dans des camps de détention (que les autorités appelaient des « camps de bien-être »).

Ma deuxième mission était en 2011, je suis allée à la frontière entre la Libye et l’Égypte. Il s’agissait de faire de la détermination du statut de réfugié à la frontière, pour les demandeurs d’asile libyens. La situation d’urgence était surtout par rapport à l’Égypte. Mubarak venait de quitter et l’armée avait pris le pouvoir : on craignait que l’armée allait procéder à du refoulement de demandeurs à la frontière. On voulait y être et tenter de trouver des solutions immédiates à la réinstallation.

J’en ai beaucoup appris sur le comment – c’est une chose de lire le manuel d’urgence et une autre de le vivre. J’en ai également beaucoup appris sur l’action de l’ONU, en faisant entre autres la connaissance d’agences onusiennes que je ne connaissais même pas auparavant. Le HCR est un chef de file par rapport à la coordination, mais il travaille de manière conjointe avec une variété de représentants de l’OIM, d’autres organes onusiens et d’ONG. J’ai aussi observé la difficulté fondamentale de traiter avec certains gouvernements et l’absolue nécessité de savoir comment négocier de façon humanitaire pour rejoindre les gens que nous sommes censés protéger. Les chefs d’équipe que j’ai vu travailler m’ont impressionnée.

Ensuite, ce qui m’a marquée, dans notre formation à titre d’avocat au Canada, c’est que quand on arrive sur les lieux, c’est à ce moment-là qu’on prend conscience que les droits fondamentaux, c’est avant tout le droit d’être enregistré pour avoir accès à des services ou encore à des installations sanitaires propres et sécuritaires. Ce fut une découverte pour moi : les droits que l’on lit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme prenaient tout leur sens par rapport à ce que je voyais sur place. »

  1. Pourriez-vous nous parler de votre rôle au sein du HCR et comment ce dernier a évolué lors de ces dernières quelques années où, année après année, le nombre de réfugiés et de personnes déplacées a atteint des niveaux record ?

« J’ai été embauchée par le HCR en 2004 à titre de conseillère juridique. Essentiellement, le HCR est un organisme intergouvernemental qui soutient les gouvernements dans leur rôle de protection internationale. Au début, j’étais surtout impliquée dans du monitoring, de l’observation des pratiques nationales à améliorer vis-à-vis des normes internationales et des analyses des meilleures pratiques. Dans le cadre de mon travail, je fais aussi des représentations devant le gouvernement du Québec, en collaboration avec des partenaires locaux, des ONG et d’autres ministères. Je continue à examiner la façon par laquelle le Canada procède pour recevoir les demandeurs d’asile, tout en restant en soutien au gouvernement.

Avec le temps, il y a eu une évolution au niveau de l’organisation : le HCR est devenu beaucoup plus transparent, il sort des documents avec un vocabulaire plus accessible et des textes qui touchent au but. Cette évolution s’est en partie effectuée car la situation mondiale a grandement changé et s’est complexifiée. Les défis liés aux changements climatiques, au nombre grandissant de conflits et la difficulté de désigner les adversaires dans certains conflits ont contribué à cette transformation.

Au Canada, on a évolué. On est plus dans le nécessité de protéger l’espace humanitaire – de faire en sorte que les gens puissent comprendre la situation des demandeurs d’asile et des réfugiés, que ce soit dans le monde ou de ceux qui arrivent à nos frontières (bien qu’ils soient relativement peu nombreux lorsqu’on compare les chiffres avec d’autres pays et régions). On doit poursuivre cette obligation de sensibiliser les gens pour que les communautés soient plus accueillantes. Il faut pousser les gouvernements à continuer leur engagement vis-à-vis des communautés réinstallées.

Les nombres se multiplient. Beaucoup de personnes vulnérables auraient besoin de solutions pour avoir une vie qui s’appelle une vie. Les solutions sont néanmoins limitées. On veut que les États y participent davantage. En 2004, lorsque je suis arrivée au HCR, il y avait 3 conflits mondiaux majeurs alors qu’aujourd’hui, il y en a 16. Ce sont des situations d’urgence où les gens sont en situation de survie. Il y a beaucoup de problématiques et énormément de personnes pour lesquelles nous avons besoin de solutions. En ce moment, on développe des voies complémentaires : on tente d’utiliser l’immigration économique, de jumeler des réfugiés avec certaines compétences pour répondre à des besoins économiques. On essaie aussi de permettre à des réfugiés étudiants d’accéder à des études dans des pays étrangers. »

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