L’affaire Sepur Zarco – l’esclavage sexuel en temps de guerre : une grave violation du droit international humanitaire, selon un tribunal guatémaltèque

Par Me Sophie Beaudoin (Montréal, Canada)

Le 26 février dernier, un tribunal guatémaltèque a condamné deux militaires retraités à plus de cent ans de prison pour leur rôle dans la commission de crimes sexuels durant le violent conflit armé qui a secoué le pays latino-américain de 1960 à 1996. Cette décision historique représente un précédent important non seulement pour le Guatemala, mais aussi pour la communauté internationale, car il s’agit du premier cas où l’esclavage sexuel pratiqué dans un contexte de guerre est considéré comme une violation du droit international humanitaire par un tribunal national.

Les crimes auraient été commis contre la communauté de Sepur Zarco, un village situé à l’est du pays et composé majoritairement d’autochtones appartenant au groupe Maya Q’eqchi’. Au début des années 80, pour avoir osé revendiquer les droits fonciers sur les terres qu’ils occupaient depuis l’époque précoloniale, les habitants de Sepur Zarco ont engendré la colère des riches tenanciers de la région. Ces derniers ont fait appel à l’armée, laquelle a entamé une répression brutale contre les villageois afin de taire leurs revendications.

Suite à la disparition forcée des dirigeants du village, leurs veuves furent considérées par les membres de l’armée guatémaltèque comme étant à leur « disponibilité », et furent utilisées comme esclaves sexuelles et domestiques. Selon les témoignages des survivantes entendus durant le procès, elles étaient forcées de se rendre tous les trois jours à la base militaire, où elles étaient violées à plusieurs reprises, parfois par plusieurs soldats à la fois. De plus, elles étaient contraintes d’effectuer diverses tâches ménagères et de cuisiner pour les soldats. Certaines ont déclaré avoir même dû fournir leurs propres aliments, alors que leurs enfants mourraient de faim. Pour certaines, le calvaire dura plusieurs années, jusqu’à la fermeture de la base militaire en 1988. D’autres femmes ont aussi témoigné avoir été victimes de viol dans leur maison devant les membres de leur famille ou en allant chercher de l’eau au puit.

Après quatre semaines intensives d’audiences, où plus de soixante-dix témoins et experts furent entendus, le lieutenant-colonel Esteelmer Reyes Giron, ex-commandant de la base militaire, et l’ex-paramilitaire Heriberto Valdez Asig, affecté à Sepur Zarco au moment des faits, ont chacun été condamnés à trente ans de prison après avoir été reconnus coupables de crimes contre l’humanité. Le tribunal, composé de trois juges, a jugé que, à titre de commandant, Reyes Giron était responsable pour les actes commis par ses troupes et devait nécessairement avoir connaissance de ce qui se passait sur la base. Les témoignages ont de plus démontré, selon le tribunal, la participation directe des deux accusés dans la commission de crimes sexuels. Les deux accusés ont également reçu des peines supplémentaires pour des charges d’homicides et de disparitions forcées.

En 1999, soit trois ans après la signature des accords de paix, une commission de vérité appuyée par les Nations Unies affirmait dans son rapport final que, durant le conflit armé, la violence sexuelle était systématiquement utilisée par les agents de l’État afin de semer la terreur chez les villageois et les dissuader de rejoindre les rangs de la guérilla. La commission a de plus conclu que la pratique constituait une grave violation aux droits humains et au droit international humanitaire. De fait, l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949, ratifiées par le Guatemala en 1950, interdit les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements cruels et dégradants contre la population civile dans le contexte d’un conflit armé de caractère non international.

Pourtant, il aura fallu plus de 30 ans pour que les femmes de Sepur Zarco obtiennent justice et pour que la gravité de l’usage systématique de la violence sexuelle durant le conflit armé soit reconnue par un tribunal guatémaltèque comme détruisant le tissu social des communautés autochtones. Un effort dans ce sens avait été fait en 2013 par le même tribunal, dans sa décision condamnant l’ancien chef d’État Efrain Rios Montt pour des crimes de génocide. Dans son jugement historique, la cour avait établi que l’usage systématique de la violence sexuelle contre les communautés autochtones démontrait l’intention génocidaire de détruire partiellement ce groupe ethnique. Cette décision, rendue le 10 mai 2013 au Guatemala, a toutefois été annulée dix jours plus tard par la cour constitutionnelle et la tenue d’un autre procès, qui est toujours en cours, a été ordonnée.

Les 11 survivantes de Sepur Zarco qui ont déposé leur plainte en 2011 ont dû faire face à la discrimination, la stigmatisation et la re-victimisation. Leur courage et détermination ont toutefois permis de jeter la lumière sur le passé douloureux et méconnu de la population guatémaltèque. De plus, alors que le viol est de plus en plus utilisé dans les conflits mondiaux comme arme de guerre et que des jeunes filles sont enlevées afin de servir d’esclaves sexuelles aux dirigeants de milices et groupes terroristes, leur lutte a permis de faire avancer la reconnaissance de ces crimes comme étant une grave violation au droit international humanitaire.

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