AHQ Nouvelles-News RSS La reconnaissance des jugements étrangers en France et au Québec

Me Sandra Morin (Paris, France)

Au-delà de leur similarité évidente, les règles applicables en France et au Québec pour la reconnaissance et l’exécution des décisions étrangères présentent quelques différences notables. Les lignes qui suivent en dressent un aperçu succinct.

Image Sandra MorinEn France

L’article 509 du Code de procédure civile pose le principe du caractère exécutoire en France des jugements rendus à l’étranger. En l’absence de conventions bilatérales ou de règlements communautaires, le contrôle du juge français, qui ne peut en aucun cas réviser au fond la décision étrangère sans méconnaître ses pouvoirs (Civ. 1re, 14 janv. 2009, n° 07-17.194), porte sur les critères posés par la jurisprudence issue des arrêts Munzer (Civ 1re, 7 janvier 1964, JCP 1964 II 13590) et Bachir (Civ. 1re, 4 octobre 1967, RCDIP 1968.98 note Lagarde).

Suivant une conception de plus en plus libérale, ces critères, au nombre de trois, se limitent aujourd’hui au contrôle de la compétence internationale du juge étranger ayant rendu la décision, de la conformité du jugement étranger à l’ordre public international français et de l’absence de fraude à la loi (Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082, Cornelissen c/ Sté Avianca INC).

Ainsi, la régularité de la procédure suivie devant la juridiction étrangère et l’application de la loi compétente d’après les règles françaises de conflit ne sont plus des conditions autonomes de la régularité du jugement étranger (ces points sont toutefois examinés sous l’angle de la compatibilité avec l’ordre public international, notamment au regard du respect des droits de la défense).

Ce n’est que si le jugement étranger est déclaré irrégulier au regard de ces conditions qu’aucune autorité de chose jugée ne lui sera accordée en France (Civ. 1re, 16 déc. 2009, n° 08-20.305, et Civ. 1re, 20 juin 2012, n° 11-30.120).

Le juge français contrôle la compétence internationale de l’autorité étrangère au regard des règles françaises de compétence directe. L’autorité étrangère est donc réputée compétente dans la mesure où l’application par le tribunal français de ses propres règles lui aurait donné compétence dans la même situation. Néanmoins, la compétence de l’autorité étrangère peut également être reconnue lorsque le litige présente un rattachement caractérisé avec l’Etat dont elle émane (Civ. 1re, 6 févr. 1985, n°83-11241, Simitch).

La compétence du juge étranger peut parfois également se heurter à la compétence exclusive des tribunaux français, notamment lorsque l’action porte sur un immeuble situé en France ou met en cause un attribut essentiel de l’Etat français ou son immunité de juridiction.

Le contrôle exercé est donc plutôt favorable à la réception des jugements étrangers. A cet égard, on rappellera que le droit français a longtemps été marqué par une conception paternaliste, matérialisée par la compétence exorbitante reconnue aux tribunaux français à l’égard des ressortissants français et par l’exercice d’un contrôle étendu sur les jugements rendus à l’étranger.

Ces privilèges de juridiction, consacrés aux articles 14 et 15 du Code civil, donnent compétence aux tribunaux français lorsque, soit le demandeur, soit le défendeur, est de nationalité française. Néanmoins, ouvertement critiqués par la doctrine et considérés comme peu respectueux des principes de courtoisie internationale, ceux-ci ont été peu à peu ramenés au rang de simple compétence subsidiaire (Civ. 1re, 19 novembre 1985, Société Cognac et Brandy, n°84-16001), puis facultative (Civ. 1re, 23 mai 2006, Prieur c/ de Montenach, n° 04-12777 ; Civ. 1re, 22 mai 2007, Fercométal, n° 04-14.716), à tout le moins dans les rapports intracommunautaires (Il semble en effet que la question de son application soit toujours d’actualité dans les rapports extracommunautaires. Voir CA Paris (1ère ch.) 3 février 2011, SAS Surgiview c/Orthotec LLC).

Au Québec

Dans le système canadien, le droit international privé relève de la compétence législative des provinces et territoires, en application du partage de compétences prévu par les articles 91 et 92 de la Constitution.

Au Québec, les règles générales applicables à la reconnaissance et à l’exécution des décisions étrangères sont édictées au livre X, titre IV, du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Ces dispositions, largement inspirées de la Convention de La Haye du 1er février 1971 (Convention de La Haye du 1er février 1971 sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale), présentent de nombreuses similarités avec les règles françaises, mais aussi des nuances qui méritent d’être soulignées.

En principe, toute décision rendue hors du Québec est reconnue et, le cas échéant, déclarée exécutoire, sauf en certaines circonstances. En particulier, la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement étranger sera refusée lorsque la décision n’est pas définitive ou exécutoire, si l’autorité dont elle émane n’était pas compétente, si elle a été rendue en violation des principes essentiels de la procédure, si son résultat est manifestement incompatible avec l’ordre public international ou encore si elle sanctionne les obligations découlant de lois fiscales d’un État étranger (art. 3155 C.c.Q.).

La Cour d’appel du Québec est venue récemment rappeler les critères du contrôle de la compétence des tribunaux étrangers dans une décision rendue le 14 juin 2013 (Iraq (State of) c. Heerema Wzwijndrech, b.v. (2013 QCCA 1112)). Comme en droit français, cette compétence s’apprécie au regard des règles de compétence applicables aux autorités québécoises en matière de droit international privé (Société canadienne des postes c. Lépine [2009] 1 R.C.S. 549, 2009 CSC 16 (CanLII) et Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., 2002 CSC 78 (CanLII)).

La compétence des autorités étrangères est toutefois écartée lorsqu’une compétence exclusive est attribuée aux autorités québécoises en vertu des règles provinciales (art. 3155 et 3164 C.c.Q.). Cette exclusion est potentiellement plus large qu’en droit français, les cas de compétence exclusive des juridictions françaises ayant été fortement réduits en matière de compétence internationale. On notera toutefois que le droit québécois ne connaît aucun équivalent aux privilèges de juridiction dont bénéficiaient jusqu’à récemment les ressortissants français.

En outre, le tribunal québécois peut refuser de reconnaître un jugement étranger si le litige qui le sous-tend ne se rattache pas d’une façon importante à l’État dont l’autorité a été saisie (art. 3164 C.c.Q.) (Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., [2002] 4 R.C.S. 205). On notera à cet égard que le législateur québécois a introduit dans son Code civil, quoique de manière limitée, la doctrine du forum non conveniens issue de la common law (art. 3135 C.c.Q.).

Le droit québécois se sert ainsi du critère du rattachement comme d’un moyen pour contrecarrer toute tentative de forum shopping ainsi que la multiplication des procédures parallèles, là où le droit français en fait un chef de compétence internationale autonome tout en refusant de l’utiliser pour contrer la désignation du for par les règles de compétence.
Cependant, le tribunal québécois n’a pas à se demander de quelle manière le tribunal étranger aurait dû exercer sa compétence ni, en particulier, s’il aurait dû décliner celle-ci en application de la doctrine du forum non conveniens, dès lors qu’il ne s’agissait pas de la juridiction la plus appropriée (Société canadienne des postes c. Lépine [2009] 1 R.C.S. 549, 2009 CSC 16 (CanLII), v.par. 34& 35).

Enfin, on notera que, comme en droit français, le pouvoir d’examen de la décision étrangère par le tribunal québécois est limité au contrôle du respect des conditions de réception de la décision, sans lui conférer le droit d’examiner à nouveau le fond de l’affaire (art. 3158 C.c.Q.).

Par ailleurs, à l’instar des juridictions françaises, les autorités québécoises ne peuvent refuser la reconnaissance d’un jugement étranger pour la seule raison que l’autorité étrangère a appliqué une loi autre que celle que les règles québécoises auraient désignée comme applicable (art. 3157 C.c.Q.).

Pour aller plus loin :

Il convient de noter que le Québec a conclu avec la France, le 9 septembre 1977, une Entente sur l’entraide judiciaire en matière civile, commerciale et administrative.

Le Canada et la France ont par ailleurs conclu le 10 juin 1996 une Convention relative à la reconnaissance et à l’exécution des décisions judiciaires en matière civile et commerciale. Cette dernière convention n’est jamais entrée en vigueur, faute de ratification par la France, en raison des transferts de compétence au profit des instances européennes.

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