Entrevue avec Me Kinga Janik du Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en Mauritanie

Me Kinga Janik, Cheffe d’équipe en Mauritanie du Projet de cadre de conformité FC G5-Sahel au sein du Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en Mauritanie, a chaleureusement accepté de partager son expérience et quelques conseils sur la pratique du droit à l’étranger. 

 

  1. Comment vous êtes-vous tournée vers la pratique du droit à l’étranger ?

Je dois dire que c’est une série de coïncidences et de circonstances qui m’ont amené à travailler à l’international. Je n’ai jamais planifié mon plan de carrière et j’ai eu la chance d’être formée par des gens extraordinaires, soit des fonctionnaires aux parcours multidisciplinaires au ministère de la Justice et des professeurs inspirants avec une grande éthique de travail à l’université, et ce, du baccalauréat jusqu’au doctorat.

J’ai d’abord été au service du gouvernement fédéral pendant une dizaine d’années. Je m’orientais alors vers l’enseignement universitaire, en espérant enseigner en Europe puisque mon mari est italien. Cependant, en voyant les difficultés d’entrer dans le réseau universitaire italien, j’ai commencé, sur le conseil d’un ami, à postuler pour les Nations Unies et, parallèlement, à guider mes travaux en conséquence. C’est grâce à une conférence décisive à Gand, Belgique, en 2015 que j’ai rencontré Médecins sans frontières et que j’ai orienté mes recherches postdoctorales sur une application concrète des besoins juridiques des migrants en haute-mer. Mes recherches sur l’arrivée des migrants en Italie m’ont également permis de faire du terrain et j’ai été appelée à faire plusieurs examens pour les bureaux onusiens de Genève et de Vienne sur la traite et le trafic d’êtres humains. C’est finalement une ancienne connaissance qui savait que je cherchais du travail dans le domaine des droits humains et qui me savait parfaitement bilingue qui m’a encouragée à postuler pour la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), poste qui s’est avéré pour moi une porte d’entrée au Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en Mauritanie l’année suivante.

 

  1. Pouvez-vous nous décrire votre rôle actuel comme Coordonnatrice de la coopération technique[1] pour le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en Mauritanie ?

J’ai occupé plusieurs fonctions depuis mon arrivée en Mauritanie en 2017. Il y a deux grandes interventions sur le terrain : la protection et la coopération technique. Depuis l’automne dernier, je coordonne la coopération technique. Il s’agit de renforcer les connaissances en matière de droits humains du gouvernement, de la société civile et surtout des victimes et d’appuyer les réformes législatives et la bonne gouvernance. En bref, j’élabore des formations sur les standards internationaux des droits humains et les mécanismes de protection et je m’assure que les bonnes personnes donnent ces formations.

 

  1. Parmi toutes les expériences que vous avez accumulées au Québec avant de faire le grand saut, laquelle s’est avérée la plus utile à votre présente pratique ?

Je dois vraiment en choisir une seule ! Je dirai que celle qui m’a marquée le plus a été mon poste de Conseillère spéciale auprès du Sous-Procureur Adjoint à la Sécurité, Défense et Immigration. J’y ai appris comment fonctionne l’administration publique et surtout comment sont prises les décisions politiques. J’ai acquis une compréhension humaine de la fonction publique qui me permet aujourd’hui d’opérer facilement avec les autorités des pays où je suis postée. Ma formation universitaire avec le Pr. François Crépeau est également décisive puisqu’elle m’a donné un cadre conceptuel et de réflexion dans lequel je puise constamment pour élaborer les interventions de terrain.

 

  1. Votre parcours professionnel unique combine pratique et académie : vous avez accumulé de l’expérience en litige au ministère de la Justice ainsi que sur le terrain dans la promotion des droits humains et vous avez poursuivi vos études supérieures comme recherchiste en migration internationale. Qu’est-ce qui explique cette unique dualité ?

La curiosité et le nomadisme ! Je m’ennuie facilement, la routine me fait fuir. Je me souviens qu’à mes débuts au ministère de la Justice comme conseillère juridique, j’avais dit à mon superviseur que je voulais faire des études doctorales parce que j’avais dans les mains une lampe de poche qui éclairait des parties de la pièce de mon travail, mais qu’il me manquait la lumière au plafond. Peu de temps après, j’assistais à une conférence à Ottawa donnée par le Pr. François Crépeau. J’ai su à l’instant avec qui je voulais faire ma thèse.

Je souffre aussi du besoin de faire beaucoup de choses diversifiées et d’être constamment stimulée. Je me souviens encore d’allaiter notre plus jeune, pendant que notre ainée dessinait à côté de moi et que j’écrivais la conclusion de ma thèse de doctorat. Ce qui est encourageant, c’est que le monde du travail d’aujourd’hui accepte de plus en plus les carrières multiples. Prenez par exemple ces actrices qui portent des plaidoyers sur les changements climatiques ou sur l’environnement. Certains milieux favorisent également la diversité dans le profil de leurs employés et c’est le cas des Nations Unies. Partir en 4X4 dans des hors-pistes et dire à des gens qui n’ont jamais vu un « toubab »[2] de leur vie qu’ils ont des droits, ça prend plus qu’un diplôme en droit !

 

  1. Quels sont vos conseils pour celles et ceux désirant travailler à l’étranger ?

Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de ses ambitions, surtout quand elles ne s’inscrivent pas dans les créneaux communs. J’ai mis du temps à accepter mon désir de voyager et de découvrir d’autres cultures tout en pratiquant le droit. Pour partir, il faut être entouré de gens qui vous aiment et avoir des mentors qui vous forgeront et seront là pour vous conseiller tout au long de votre carrière. Cela vaut aussi pour toutes les professions. Il ne faut pas trop perdre de temps à chercher ce que vous allez faire, mais plutôt comprendre qui vous êtes : trouver ce que vous voulez et apprenez à le demander ! L’étranger appelle celles et ceux qui ont désir de se mouvoir ; avoir des bases solides tant aux niveaux personnel que professionnel rend l’expérience agréable. N’hésitez jamais à revenir. Pour les femmes, c’est aussi difficile de conjuguer famille et travail. Partir à l’étranger nécessite un partenaire qui soit muni du même désir. Il faut savoir que c’est possible.

 

  1. Pouvez-vous nous dire ce qu’il y a de plus étonnant à propos de la Mauritanie ?

Le fait qu’elle soit si méconnue. C’est un pays fascinant avec des gens attachants dont la diversité culturelle rend précaire la cohabitation et pourtant elle demeure pacifique. C’est pour moi une expérience enrichissante et inspirante à tous les niveaux. Il faut faire l’expérience du désert une fois dans sa vie pour comprendre ce que les gens du Sahel peuvent ressentir lorsque la voix lactée vous couvre de son manteau céleste.

 

 

[1] Depuis son entretien avec AHQ, Me Kinga Janik a été promue au poste de Cheffe d’équipe en Mauritanie du Projet de cadre de conformité FC G5-Sahel.

[2] Un homme blanc.

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