L’impact fiscal lors de l’émigration d’un résident du Canada: Bien se quitter avant un nouveau départ!

Par Frédéric Barriault (Montréal, Canada)

ville 2La décision de quitter le Canada pour poursuivre sa carrière n’est certes pas une décision facile à prendre. En plus de tous les aspects pratiques liés à un déménagement, quitter le Canada entraîne également de nombreuses questions complexes du point de vue fiscal. À partir de quel moment un individu cesse-t-il d’être un résident canadien au point de vue fiscal? Qu’arrive-t-il lorsque qu’une personne cesse d’être un résident fiscal canadien? Un individu peut-il être assujetti à l’impôt canadien malgré le fait qu’il réside à l’étranger? Nous tenterons de démystifier ces situations en passant en revue certaines des principales règles fiscales canadiennes en matière de résidence fiscale.

1. Résidence fiscale – principes généraux (1)
En vertu de la législation fiscale canadienne, l’impôt qu’un particulier doit payer sur ses revenus se fonde sur son statut comme résident ou non-résident du Canada. Un particulier qui réside au Canada pendant une année d’imposition est assujetti à l’impôt canadien sur ses revenus mondiaux.

De manière générale, un particulier non résident n’est tenu de payer l’impôt canadien que sur ses revenus de source canadienne (i.e. le revenu provenant d’un emploi au Canada; le revenu provenant d’une entreprise exploitée au Canada et le gain ou revenu provenant de la disposition d’un bien canadien imposable).

Un particulier qui a résidé au Canada durant une partie de l’année seulement est quant à lui assujetti à l’impôt canadien sur ses revenus mondiaux pour toute la partie de l’année pendant laquelle il a résidé au Canada. Pour le reste de l’année, ce particulier est assujetti à l’impôt comme un non-résident.

La résidence d’un particulier aux fins fiscales canadiennes est donc un concept primordial. Il n’existe pas de définition dans la législation fiscale canadienne de ce qu’est un « résident » canadien. Les tribunaux ont statué que la détermination de la résidence fiscale d’un individu est avant tout une question de fait et relève « du degré auquel une personne s’installe mentalement et en fait à un endroit ou y maintien ou y centralise son mode de vie habituel, y compris les relations sociales, les intérêts et commodités » (2).

La détermination du lieu de résidence d’une personne est une question complexe qui oblige à soupeser de nombreux facteurs. Cette détermination dépend de l’analyse d’une série de critères, dont notamment :

a) Les habitudes de vie passées et actuelles;
b) La régularité et la durée des visites dans l’état de résidence allégué;
c) Les liens maintenus dans cet état;
d) Les liens maintenus ailleurs; et
e) La permanence ou la durée projetée du séjour à l’étranger.

Dans le cadre du départ d’un individu du Canada, les autorités fiscales et les tribunaux ont établi qu’un résident du Canada doit généralement couper ses liens avec le pays afin d’en devenir un non-résident. Le fait d’être à l’étranger peut ne pas suffire pour déclarer un individu comme non-résident du Canada si l’individu conserve des liens de rattachement importants avec le Canada. Les liens suivants sont jugés significatifs par les autorités fiscales canadiennes :

a) Un ou des lieux d’habitation au Canada;
b) Un époux ou conjoint de fait au Canada; et
c) Des personnes à charge au Canada.

D’autres liens, bien que secondaires, sont également analysés dans le cadre de la détermination de la résidence fiscale d’un individu comme par exemple le fait d’avoir des biens personnels au pays (meubles, vêtements, voitures, etc.), des liens économiques avec le Canada (emploi, entreprise, comptes bancaires, REER, cartes de crédit, etc.), une couverture d’assurance maladie provinciale ou un permis de conduire canadien (3).

Bien que ces éléments pris chacun isolément ne soient pas suffisants en eux-mêmes afin de déterminer la résidence fiscale d’un individu, toute personne quittant le Canada et désirant ne plus être un résident fiscal du Canada se doit de poser des gestes significatifs afin de briser ses liens de résidence avec le Canada et ces éléments peuvent servir de base.

Il est techniquement possible pour un individu d’être considéré comme un résident fiscal de plus d’un pays à la fois. Dans ces circonstances, afin d’éviter une double imposition, le recours à la convention fiscale entre le Canada et le nouveau pays de résidence permettra d’éviter que l’individu soit résident fiscal des deux pays à la fois. Les conventions fiscales prévoient un ensemble de règles départageant entre les deux pays lequel pourra considérer l’individu comme l’un de ses résidents aux fins fiscales.

Une personne désirant quitter le Canada peut également obtenir l’opinion de l’Agence du revenu du Canada (l’ « ARC ») sur son statut de résidence par le biais du formulaire NR-73 « Détermination du statut de résidence (Départ du Canada) ». En produisant ce formulaire, la personne peut obtenir l’opinion révocable et non contraignante de l’ARC et réviser ses liens de résidence selon l’opinion donnée. En cas de réponse négative, l’individu peut toujours faire parvenir une nouvelle demande après avoir modifié sa situation.

La question de la résidence fiscale étant une question de fait, toute personne désirant quitter le Canada a tout avantage à analyser sa situation personnelle en détail et à poser les bons gestes afin de limiter les risques de contestation potentielle par les autorités fiscales.

2. Conséquences fiscales du départ (4)

a) Disposition présumée des biens

Lorsqu’un individu cesse de résider au Canada à un moment donné, il est réputé disposer de la plupart de ses biens pour une contrepartie égale à leur juste valeur marchande. Tout gain ou perte en capital latent sur ces biens ou tout revenu est donc reconnu au moment du départ du Canada (5).

Seuls les biens immeubles situés au Canada, les immobilisations utilisées dans le cadre d’une entreprise exploitée au Canada par le biais d’un établissement stable, les droits, participations ou intérêts exclus par la loi (REER, FERR, REEE, etc.) ainsi que d’autres biens déterminés ne sont pas visés par cette règle de disposition présumée au départ.

b) Période de résidence

Pour la période précédant la date de départ, l’individu sera considéré résident du Canada et sera imposé sur ses revenus mondiaux, y compris les revenus provenant de la règle de disposition présumée.

Il est à noter que l’individu a l’obligation de déclarer tous les biens canadiens et étrangers qu’il possède lors de son départ si la juste valeur marchande de ces biens excède 25 000 $ (6). L’argent comptant et les régimes enregistrés tout comme les biens à usage personnel d’une valeur de moins de 10 000 $ chacun ne sont pas pris en considération dans ce calcul.

De plus, le contribuable doit remplir d’autres formulaires fiscaux pour déclarer les gains ou pertes découlant de la règle de disposition présumée ou si le contribuable désire bénéficier d’un report de l’impôt payable relatif à la disposition réputée de ses biens (7).

c) Période de non-résidence

À compter du départ d’un individu, ce dernier sera imposé au Canada sur ces sources canadiennes seulement. Par exemple, tous les revenus d’investissements gagnés au Canada (intérêts, revenus de pension, dividendes, revenus de location) seront assujettis à un impôt de 25 % ou à un taux inférieur si une convention fiscale le prévoit.

Un autre exemple est le cas des REER. Comme mentionné ci-dessus, les REER et autres régimes enregistrés ne sont pas visés par la règle de disposition réputée. Cependant, tout montant retiré d’un REER fera l’objet d’une retenue à la source de 25 % ou à un taux inférieur si une convention fiscale le prévoit. Un contribuable non résident peut donc conserver son REER, mais ce dernier ne pourra y contribuer à moins d’avoir un revenu au Canada ou d’avoir des droits de cotisation inutilisés.

Les gains accumulés dans le REER seront non imposables au Canada. Cependant, le traitement fiscal dans le nouveau pays de résidence pourrait être autre et une confirmation du traitement fiscal sera nécessaire.

Nous venons de survoler rapidement quelques-unes des principales règles en matière de fiscalité dans un contexte d’émigration du Canada. Chaque cas étant unique, il est fortement conseillé d’obtenir l’avis d’un professionnel de la fiscalité afin de bien planifier son départ du Canada et de connaître ses obligations fiscales après son départ. Bien comprendre sa situation fiscale dans son nouveau pays de résidence est également essentiel pour débuter du bon pied. Une bonne planification fiscale est la clé afin d’éviter de recevoir comme seules nouvelles du Canada un avis de cotisation des autorités fiscales canadiennes.
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1-Le présent texte ne traite pas de l’ensemble des règles applicables en matière de détermination de résidence aux fins fiscales canadiennes et il est conseillé d’obtenir l’avis de professionnels en fiscalité pour confirmer le traitement fiscal applicable.

2-Agence du revenu du Canada, Bulletin d’interprétation [annulé] IT-221R3 « Détermination du statut de résident d’un particulier », 4 octobre 2002.

3-Prendre également en considération les éléments suivants : liens sociaux au Canada (membre d’associations sociales et professionnelles), un véhicule immatriculé au Canada, une maison secondaire ou une habitation en location au Canada, une adresse postale au Canada, un numéro de téléphone au Canada et un abonnement à des périodiques ou journaux canadiens.

4-Encore une fois, nous ne passons pas en revue l’ensemble des conséquences fiscales potentielles lors de l’émigration d’un individu du Canada. Nous suggérons à toute personne de consulter un professionnel de la fiscalité afin de déterminer les conséquences fiscales liées à sa situation.

5-Il est possible de retarder le paiement de l’impôt de départ si une garantie suffisante est donnée aux autorités fiscales jusqu’au moment où un des événements suivants survient : (1) au moment où l’actif faisant l’objet de la disposition présumée est réellement vendu; (2) au moment du retour au Canada; ou (3) au décès de l’individu.

6-Voir le formulaire T1161 « Biens possédés par un émigrant du Canada » qui doit être produit au plus tard à la date limite de production de la déclaration d’impôt de l’année de départ.

7-Voir le formulaire T1243 « Disposition réputée de biens par un émigrant du Canada » et le formulaire T1244 « Choix, en vertu du paragraphe 220(4.5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, de reporter le paiement de l’impôt sur le revenu relatif à la disposition réputée de biens ».

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