La nomination de Mark Carney à la banque d’Angleterre: vers une application des méthodes canadiennes à l’Europe?

Me Geneviève Dufour et David Pavot (Montréal, Canada)

Image DavidIl pourrait sembler de prime abord anecdotique d’évoquer la nomination d’un nouveau gouverneur d’une banque centrale. Pour autant, cette décision administrative a défrayé la chronique puisque Mark Carney est le premier sujet de sa majesté à ne pas être originaire de Grande-Bretagne héritant du poste – il est citoyen canadien et ancien gouverneur de la Banque centrale du Canada – mais aussi et surtout à cause des émoluments particulièrement élevés du nouveau patron de la la vieille dame de Threadneedle Street. Au-delà de ces détails relevant davantage de la rubrique «faits divers», le dernier discours prononcé par Mark Carney, le 21 mai dernier, alors qu’il était encore à la tête de la Banque du Canada, est intéressant à étudier car il semble vouloir rénover la politique monétaire britannique et européenne (https://www.banqueducanada.ca/2013/05/diffusions/chambre-commerce-montreal-metropolitain/).

Le discours de Mark Carney s’articulait autour de trois axes : un système financier résilient, une union monétaire fonctionnelle et une réaction de grande ampleur à la crise.

En ce qui concerne la résilience du système financier, M. Carney estime que les Européens devraient s’inspirer du modèle canadien. En effet, les banques canadiennes ont peu subi la crise des subprimes, ceci pour diverses raisons. En premier lieu, l’exposition au risque systémique demeure bien contrôlée puisque les banques doivent préserver des rations de fonds propres élevés. En outre, le régulateur interdit aux banques canadiennes d’avoir une exposition trop élevée en contrôlant leur taille critique. De ce fait, les banques canadiennes n’ont pu devenir des acteurs financiers de premier plan à l’international. Toutefois, cela leur a permis de diminuer leur exposition aux produits toxiques et à la dette souveraine. A l’évidence, M. Carney tente de proposer une certaine vision de ce qui devrait caractériser l’union bancaire européenne, à savoir un régulateur puissant contrôlant les activités et la taille des institutions bancaires. Toutefois, l’adoption d’une telle vision par la Banque centrale d’Angleterre nécessiterait des réformes que les géants de la City devraient avoir quelques difficultés à accepter.

Pour l’Union monétaire, le discours de Mark Carney se veut lui aussi très avant-gardiste. Il en développe une vision élargie qui ne se limite pas uniquement à l’Euro. En effet, sa proposition principale vise à instaurer un réel fédéralisme budgétaire. Cette position paraît surprenante au vu de ces nouvelles fonctions tant la réticence historique des Anglais à abandonner leur souveraineté sur la monnaie est connue de longue date. Pour M. Carney, le fédéralisme budgétaire pourrait maximiser le partage de risque sur l’endettement souverain s’inscrivant clairement dans une logique redistributive de solidarité qui ne semble pas encore être de mise (voir en ce sens, J.-M. Ferry « Dette mondiale et justice internationale », APD, 1987, pp. 219 – 233). En effet, mettre en place un budget commun avec des recettes fondées sur une assiette similaire et une gestion collective des dépenses pourrait s’avérer utile dans la situation actuelle. On y voit clairement une visée constitutionnaliste faisant à terme de l’Europe une fédération. Toutefois, le chemin semble encore long avant d’y arriver même si des jalons ont été récemment posés avec le Mécanisme européen de stabilité.

Le dernier élément soulevé par M. Carney est celui d’une réaction de grande ampleur à la crise. Plus spécifiquement, il évoque la baisse, par la Banque centrale du Canada, de son taux directeur et appelle les Européens à faire de même. À l’évidence, Mark Carney aura cette marge de manœuvre lorsqu’il sera à la tête de la Banque d’Angleterre, mais il semble méconnaître la réalité de la Banque centrale européenne. En effet, ses Statuts et l’orthodoxie financière dont elle fait preuve laissent peu d’espoir quant à la possibilité de voir celle-ci manipuler les taux et la monnaie.

S’il ne s’agit que d’un discours, les propos du nouveau gouverneur de la banque d’Angleterre méritent l’attention car ils marquent une rupture avec la politique londonienne précédente. Évidemment, il ne s’agit que d’une déclaration d’intention et seuls les actes permettront de donner corps aux intentions de Mark Carney.

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