La réserve héréditaire en droit français comme obstacle à la liberté de tester en droit anglais

Me Indra Balassoupramaniane (Toulouse, France)

Image Indra 2Une des activités importantes de l’avocat exerçant dans le domaine international consiste à «traduire» et surtout d’adapter des besoins juridiques de clients étrangers dans un autre système de droit.

Avocate française spécialisée dans la défense ou représentation des intérêts de clients anglo-saxons installés ou ayant investis en France, je suis constamment confrontée à ce genre de problème et suis, de ce fait, régulièrement amenée à conseiller, voire mettre en place des techniques juridiques afin de contourner certaines dispositions du droit français incompatibles avec des principes du droit du pays d’origine. Le droit des successions en est un exemple représentatif.

En France, la liberté de tester n’est pas absolue. En d’autres termes, tout individu ne peut librement disposer de son patrimoine par voie de donation ou testament car il existe une limite d’ordre public (à laquelle aucune convention ne peut déroger) appelée «réserve héréditaire» au bénéfice des descendants et des ascendants. Le Code civil français fixe ainsi des règles impératives protégeant les héritiers réservataires. Il est donc impossible, par exemple, de déshériter un enfant.

Or, la notion de réserve héréditaire n’existe pas en droit anglais. Le système britannique pose en effet le principe que tout individu majeur et capable est entièrement libre de disposer de ses biens au profit du ou des bénéficiaires de son choix, sans limitation liée à l’existence d’héritiers réservataires comme en France.

En conséquence, cette notion de réserve héréditaire en droit français se heurte à la liberté de tester du droit britannique. Cette différence de législation pose un véritable problème pour les Britanniques qui viennent investir en France, ces derniers cherchant souvent, à juste titre, à protéger le conjoint survivant.

Image Indra 1Diverses « techniques » existent pour contourner cette réserve héréditaire.

Liberté de tester la quotité disponible
L’une d’entre elles consiste à léguer, par testament, à la personne que l’on veut favoriser l’intégralité de la «quotité disponible» (proportion du patrimoine ne faisant pas partie de la réserve héréditaire et que le défunt peut disposer librement).

Assurance-vie
Une autre technique est la mise en place d’une assurance-vie. Cette dernière est un produit financier qui permet de transmettre des sommes d’argent hors part successorale en bénéficiant d’une fiscalité intéressante. Ainsi, au moment de la succession, les fonds placés dans l’assurance-vie sont transmis automatiquement aux bénéficiaires désignés dans ledit contrat, sans que cette opération ne passe devant le notaire.

Toutefois, cette technique est à utiliser avec réserve et il est conseillé de rester vigilant sur les montants des fonds placés en assurance-vie. En effet, la notion de «prime manifestement exagérée» est souvent évoquée devant les tribunaux par les héritiers pour requalifier le contrat d’assurance-vie en donation déguisée et ainsi, le faire entrer dans la succession.

Vente en viager
La vente en viager au profit du bénéficiaire concerné représente un autre moyen de contourner la réserve héréditaire. Sous réserve du respect de certaines conditions (notamment quant à la détermination de la valeur du bien, de la rente et du bouquet), les héritiers n’auront aucun recours. Ainsi, à la mort du défunt, le débirentier récupérera la pleine propriété du bien immobilier, ce dernier ne rentrant donc plus dans la succession.

Principes de droit international privé
Si les biens à transmettre concernent des biens meubles et que les propriétaires ont leur résidence principale dans un pays où la règle civile de la part réservataire n’existe pas, comme en Grande-Bretagne et dans la plupart des pays anglo-saxons de l’ancien Commonwealth (hors Irlande), ce qui est le cas pour la plupart de mes clients, il est intéressant de rédiger un testament en faveur des bénéficiaires que le client veut privilégier. À sa mort, l’ouverture de la succession se fera dans le pays où ce dernier était résident, selon ses dernières volontés, sans qu’aucune part légale ne soit dévolue aux héritiers réservataires (si tel est son souhait).

Toutefois, cette technique se heurte à la nature du bien transmis. En effet, les biens fonciers situés en France répondent aux règles de la succession française (c’est-à-dire la loi du lieu de situation du bien et non pas celle du domicile du défunt).

Dans ce cas, une des techniques pour contourner le principe de la lex rei sitae est de créer une SCI (société civile immobilière) et d’affecter le patrimoine immobilier au sein de cette société. En agissant ainsi, la succession porte alors sur des parts de société (c’est-à-dire des biens meubles et non plus des biens immeubles) et c’est donc la loi du domicile du défunt (donc la loi anglo-saxonne) qui s’applique.

Pacte tontinier
Enfin, une dernière technique très utilisée par les anglo-saxons, surtout si ces derniers résident en France (auquel cas le principe de la lex domicilii ne leur est d’aucune utilité), est la mise en place d’un pacte tontinier (ou clause d’accroissement).

Il s’agit d’une convention conclue entre plusieurs personnes ayant pour objet de mettre des biens ou des capitaux en commun avec pour particularité que lesdits biens ou capitaux appartiendront au dernier survivant.
Ainsi, à la mort de l’une d’elles, les biens qui faisaient l’objet de la tontine se trouvent ainsi transférés aux bénéficiaires de la clause d’accroissement sans qu’ils aient à transiter par la masse successorale que se partageront les héritiers du défunt.

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